Handicap : vingt ans après, la loi inachevée

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iconeExtrait de l’hebdo n°3952

Une génération s’est écoulée depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. À l’heure du bilan, l’emploi et le travail demeurent, de l’avis syndical et associatif, les parents pauvres de cette loi emblématique.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 11/02/2025 à 13h00

En Occitanie, une entreprise adaptée de tri des déchets accueille des personnes en situation de handicap.
En Occitanie, une entreprise adaptée de tri des déchets accueille des personnes en situation de handicap.© Lydie Lecarpentier/RÉA

« La France est le plus grand cimetière des lois non appliquées », disait Jacques Delors. Il est vrai qu’en matière de handicap, la législation n’est pas des plus fournies, contrairement à ce qui se passe dans d’autres domaines. « Trois lois au total en un demi-siècle… c’est peu ! », résume Isabelle Mercier, secrétaire nationale CFDT. Cinquante ans après la première loi (de juin 1975) et vingt ans après l’adoption de la loi pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les progrès réalisés dans le champ de l’emploi et du travail demeurent faibles. « Trop faibles », iront même jusqu’à dire certains.

Certes, « la loi de 2005 contenait peu de choses sur l’emploi, si ce n’est l’obligation de faire des aménagements raisonnables pour les employeurs et rendre adaptés les postes de travail », avance le président du Collectif Handicaps, Arnaud de Broca, lors d’une table ronde organisée par l’Ajis à l’occasion des 20 ans de la loi. De fait, « la loi de 1987 prévoyait déjà une obligation d’emploi à hauteur de 6 %. Une des avancées les plus importantes de la loi de 2005 a été de l’appliquer dans la fonction publique, avec la création du FIPHFP – pendant, pour le secteur public, de l’Agefiph, créé dans le privé en application de la loi fondatrice de 1987. »

Double marginalité

En revanche, un point central figurait dans la loi de 2005 : les mesures propres à l’accessibilité des lieux de travail. Le hic, c’est que deux décennies plus tard, le décret à ce sujet n’est toujours pas sorti. « À lui seul, ce décret est devenu pour beaucoup le symbole des freins à l’accès à l’emploi des personnes handicapées », poursuit le Collectif Handicaps.

Lorsqu’on évoque l’emploi des personnes en situation de handicap, un sentiment prévaut, celui de la « double marginalité », explique la sociologue Anne Revillard : « Si le taux de chômage des travailleurs handicapés n’est “que” de 12 % (contre 7,5 % pour l’ensemble de la population), il affecte un public en moyenne plus âgé, moins qualifié et plus touché par le chômage de longue durée. Ce constat de marginalité par rapport à l’emploi s’impose également dans l’emploi : la population handicapée en emploi est en effet moins diplômée, travaille plus souvent à temps partiel et occupe plus souvent des postes moins qualifiés, moins rémunérateurs. »

Le taux d’emploi plafonne

Certes, des efforts ont été déployés depuis 2005 du côté des qualifications, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel mettant notamment l’accent sur l’apprentissage, et ce, sans limite d’âge pour les personnes en situation de handicap. Mais la génération de 2005 qui arrive aujourd’hui en emploi est toujours à la peine. Près de quarante ans après l’ojectif de 6 % fixé par la loi de 1987, à peine 3,6 % des personnes handicapées exercent un emploi dans le secteur privé, et 5,6 % dans la fonction publique. Une situation jugée « inacceptable » par les associations.

Quelle politique adopter ?

Quant aux conditions d’emploi et de maintien dans l’emploi, l’efficacité des politiques menées dépend en réalité de celle d’autres volets du handicap comme l’accessibilité de l’espace public ou des transports, et du moment où intervient le handicap dans la vie des personnes. « Une majorité de personnes ne naissent pas handicapées mais le deviennent par des accidents du travail ou de la vie, rappelle Isabelle Mercier. Si l’aménagement des postes et l’accessibilité des lieux ne se font pas, on retrouvera ces personnes en invalidité ou au chômage de longue durée. » Reste à trouver la bonne politique, qui puisse agir à la fois sur la demande et l’offre d’emploi. Or la CFDT en est persuadée : c’est le dialogue social et l’implication des employeurs qui permettront d’avancer en matière d’organisation du travail et d’adaptation des postes. « Le handicap est une question collective, une question de société et non la caractéristique de certains individus. Il nous faut agir à l’échelle des collectifs de travail et pas seulement des individus pour améliorer l’emploi mais aussi la qualité de vie au travail et l’évolution professionnelle des personnes en situation de handicap », estime Anne Revillard.

Une nouvelle étape ?

1. Conseil national consultatif des personnes handicapées.

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

À quelques jours de la célébration des 20 ans de la loi, Charlotte Parmentier-Lecocq – ministre déléguée auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée de l’Autonomie et du Handicap – annonçait vouloir « une nouvelle étape d’orientation et d’engagements concrets pour répondre à toutes les dimensions de la loi de 2005 ». Elle entend ainsi dresser un bilan de la loi sur la base des travaux qui seront prochainement présentés par le CNCPH1, le Cese, l’Assemblée nationale et le Sénat. « À partir de ces matériaux, nous pourrons définir de nouvelles ambitions, de nouveaux objectifs », affirme la ministre. Dans ce dessein, un comité interministériel du handicap se tiendra le 6 mars prochain autour d’une double thématique : l’accessibilité et l’héritage des jeux olympiques et paralympiques, qui ont permis un changement de regard porté sur les personnes en situation de handicap. Cela suffira-t-il pour qu’enfin la loi de 2005, qui a nourri tant d’espoirs, soit pleinement appliquée ?

Les chiffres clés (de 2024) à retenir

• 3 068 000 personnes reconnues handicapées (soit 7,5 % des 15-64 ans) ;
• 1 205 000 personnes handicapées en emploi ;
• 12 % de taux de chômage (contre 18 % en 2018) ;
• 3,6 % des emplois sont occupés par des personnes en situation de handicap dans le secteur privé, et 5,6 % dans la fonction publique.