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Extrait de l’hebdo n°3923
Négociations salariales, externalisation… Les effets des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires sont nombreux. C’est ce que met en lumière une étude de l’Ires commandée par la CFDT.
Le montant total des exonérations de cotisations a atteint un nouveau record en 2022 : 73,6 milliards d’euros pour le régime général, en hausse de 13,1 % par rapport à 2021. En dix ans, le taux d’exonération du secteur privé – c’est-à-dire le ratio entre le montant des cotisations exonérées et la masse salariale – a plus que doublé, passant de 5,1 % en 2012 à 10,9 %. Face à ce constat, quels sont les effets des politiques d’exonération de cotisations sociales ? À qui profitent-elles ? Dans une étude commandée par la CFDT et présentée lors d’un webinaire le 5 juin, l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) apporte quelques réponses.
1. Mécanisme selon lequel les employeurs, pour continuer à bénéficier des exonérations de cotisations, bloquent les salaires à un certain niveau.
Concernant la trappe à bas salaires1, « c’est un mécanisme potentiel fortement débattu », souligne Frédéric Lerais, directeur général de l’Ires, coauteur, avec Jérôme Gautié, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du rapport « Politiques d’exonération sur les bas salaires : usages et effets potentiels ». « Cependant, sur le terrain, il y a peu de doutes. C’est manifeste dans l’agriculture », ajoute-t-il. « Ce mécanisme semble aussi jouer dans la négociation de branche. Les exonérations incitent à maintenir des salaires minima très bas dans les grilles salariales fixées par les conventions collectives de branche. »
Ces chercheurs ont aussi repéré des impacts potentiels sur les politiques de rémunération dans les entreprises : « Ce qui ressort, c’est que les exonérations de cotisations sociales renforcent l’incitation à l’optimisation fiscale lors de la fixation de la composition du package de rémunération », poursuit Frédéric Lerais, c’est-à-dire, pour les employeurs, favoriser la mise en place de compléments de salaire défiscalisés comme la prime de partage de la valeur… à la place d’une augmentation du salaire de base.
L’effet externalisation de l’emploi
Autre effet, l’externalisation de l’emploi. « Les exonérations de cotisations sociales accroissent l’écart du coût du travail entre les salaires des salariés du “marché interne” d’une grande entreprise et ceux qui sont externalisés, dans la sous-traitance ou l’externalisation, où les salaires sont beaucoup plus bas. […] Une incitation supplémentaire à recourir à l’externalisation », indique le directeur général de l’Ires. Par ailleurs, dans la mesure où les administrations publiques ne sont pas sujettes aux exonérations de cotisations, ces dernières augmentent l’écart entre les coûts du travail des emplois à bas salaires du public et du privé.
« Qui bénéficie réellement de la manne financière des exonérations de cotisations sociales », se sont demandé les chercheurs. « Sur le marché concurrentiel, les entreprises utilisent ces exonérations en partie pour baisser leurs prix, soit au profit des consommateurs, soit au profit de leurs clients situés plus haut dans la chaîne de la valeur, explique Frédéric Lerais. Donc les entreprises situées plus haut dans la chaîne de valeur, même si elles en reçoivent moins, peuvent indirectement bénéficier des avantages des exonérations, en réduisant le coût de leurs intrants. » Enfin, autre enseignement, les travailleurs à hauts salaires peuvent bénéficier des exonérations davantage que ceux à bas salaires, notamment parce que, « en général, le pouvoir de négociation dans les entreprises est plus important pour les hauts salaires que pour les bas salaires, pour les hautes qualifications que pour les autres, et notamment si on est dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qualifiée ».
De tels travaux alimentent la position cédétiste concernant les exonérations de cotisations sociales. Selon la CFDT, il faut, au niveau de la branche, conditionner le bénéfice des exonérations au respect de la conformité au Smic des minima de branche et à l’obligation quinquennale de réévaluer les classifications de la branche. À l’échelle des entreprises, la CFDT demande la suppression automatique des exonérations pour les personnes maintenues au Smic pendant une période supérieure à deux ans. Elle souhaite également la fin des exonérations pour les salaires au-delà de 1,6 Smic. Les économies ainsi générées pourraient être investies dans les politiques publiques de l’emploi…