En Hauts-de-France, un congé pour les agents victimes de violences intrafamiliales

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iconeExtrait de l’hebdo n°3951

Alertées par des cas de plus en plus fréquents de violences intrafamiliales et une grande disparité de traitement selon les services, les organisations syndicales ont activement soutenu la création d’une autorisation spéciale d’absence des victimes par la Région. Depuis la mise en place du dispositif, cinq agents en ont déjà bénéficié.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 04/02/2025 à 13h00

Véronique et Valérie sont les militantes CFDT de la région Hauts-de-France qui ont porté, en comité social territorial, le sujet des violences conjugales et/ou intrafamiliales.
Véronique et Valérie sont les militantes CFDT de la région Hauts-de-France qui ont porté, en comité social territorial, le sujet des violences conjugales et/ou intrafamiliales.© Syndheb

C’est une petite victoire pour les organisations syndicales et un vrai ballon d’oxygène offert aux agents régionaux des Hauts-de-France victimes de violences conjugales ou intrafamiliales. Depuis dix-huit mois, une autorisation spéciale d’absence (ASA) de trois jours, accordée par la Région, leur permet d’effectuer les démarches administratives qu’ils doivent accomplir pour se mettre à l’abri et échapper à leur agresseur. Ouvert à tous les agents quel que soit leur statut, ce dispositif est le premier du genre en France dont bénéficient les agents territoriaux.

Des cas de violences conjugales qui se sont multipliés

« Une évidence » pour les militantes CFDT (deuxième organisation syndicale aux dernières élections avec 28 % des voix) qui ont soutenu le sujet en comité social territorial. Véronique Skykulla et Valérie Guilvert, toutes deux auparavant agentes dans des lycées de la région, ont vu, ces dernières années, les alertes et les cas de violences conjugales se multiplier de manière inquiétante chez les agents régionaux. « Les assistantes sociales, en première ligne, dressaient le même constat que nous », précise Véronique, la secrétaire adjointe de la section.

1. Le prénom a été changé.

Du côté des victimes, le mouvement #MeToo a sans doute contribué à lever le voile sur des violences jusque-là étouffées, cantonnées à la sphère privée. C’est sans doute ce qui a poussé Louise1, agente régionale, à sortir du silence et à partager son expérience avec l’ensemble de ses collègues. « Pour faire prendre conscience que près de nous, dans notre entourage professionnel, il y a peut-être des victimes de violences qui se taisent et que nous pouvons aider », explique-t-elle dans son témoignage publié sur l’intranet de la Région. Cette jeune mère de famille, pendant dix ans sous l’emprise de son compagnon, a vécu un calvaire rempli de coups, d’isolement forcé et de périodes d’absence, « car il fallait bien cacher les bleus ». Son salut, elle le doit à sa titularisation comme contractuelle à la Région et à son travail. « Quand j’allais au travail, j’étais à l’abri. J’ai eu aussi la chance d’avoir un chef qui m’a accompagnée […]. À la Région, j’ai fait appel à une assistante sociale qui m’a aidée à m’en sortir. »

Une mesure d’équité s’appliquant à tous les agents

Le témoignage de Louise bouscule, bouleverse même, mais montre que le travail a aussi un rôle à jouer lorsqu’il s’agit d’aider les victimes. D’autant que les militantes le savent : trop peu de victimes osent parler de ce qu’elles subissent à la maison, face à leurs collègues ou leur hiérarchie. Valérie, de son côté, observe aussi une forte disparité de traitement entre les différents services. « Dans les lycées, par exemple, les agents territoriaux sont sous l’autorité de leur chef d’établissement et de la collectivité qui les emploie. Cette double hiérarchie bloque les autorisations d’absence, les agents étant contraints par le devoir d’assurer la continuité du service. » La CFDT, particulièrement mobilisée sur les questions d’égalité professionnelle et les violences sexistes et sexuelles, ne pouvait que soutenir une mesure d’équité pour tous les agents et décide de s’appuyer sur le plan d’action égalité femmes-hommes 2021-2023, lequel contient un axe de protection contre les violences sexistes et sexuelles et une fiche d’action qui vise à « informer les agents et proposer des mesures de lutte contre les violences familiales et conjugales ».

2. Comité social territorial.

La proposition de création d’une autorisation spéciale d’absence, imaginée par les assistantes sociales dans le cadre du groupe de travail issu du plan 2021-2023, est donc votée à l’unanimité par l’ensemble des organisations syndicales de la Région lors du CST2 au mois de mai 2023 ; un bel exemple d'unité syndicale au profit des agents. La direction, par cette action, veut afficher de manière concrète l’engagement de la collectivité aux côtés des victimes. D’autant qu’elle le sait parfaitement : d’une part, ces violences peuvent avoir un impact sur les organisations de travail (retards, absentéisme…) ; d’autre part, la généralisation du télétravail n’exonère pas la direction de son obligation consistant à veiller sur la santé et la sécurité de ses salariés, que ce soit sur le lieu de travail ou à distance.

Pilotage professionnalisé et communication forte de la Région

Concrètement, l’autorisation spéciale d’absence – d’une durée de trois jours fractionnables par an – n’est pas soumise à l’accord de la hiérarchie… mais ne peut être accordée que sous réserve d’un dépôt de plainte préalable. « Les cinq assistantes sociales de la Région, formées à l'accompagnement des victimes, pilotent le dispositif, évaluent la situation et le nombre de jours nécessaires à l’agent pour lui permettre d’effectuer ses démarches administratives auprès des organismes sociaux, associations, avocats ou bailleurs. Ce sont également les assistantes sociales qui préviennent la hiérarchie et le service des ressources humaines », développe Véronique, qui se félicite d’une telle avancée. Elle salue également la large communication assurée par la Région au sujet de ce dispositif. « Une fiche explicative a été intégrée à la feuille de paie des agents afin de toucher le plus grand nombre puisque beaucoup d’entre eux ne vont pas sur l’intranet. Une fiche réflexe a été distribuée à tous les managers en vue de les sensibiliser à ce nouveau dispositif et les inciter à se mettre à l’écoute des agents. Et, en novembre 2024, un guide pratique comprenant toutes les adresses utiles et les démarches à faire a été publié pour les agents de la Région. »

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© Région Hauts-de-France - DR

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À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Depuis juin 2023, ce sont ainsi cinq agents qui ont pu bénéficier de ce dispositif inédit. « Il y a sans doute plus de cinq cas de violences intrafamiliales parmi nos 6 000 agents mais beaucoup ne vont pas jusqu’au bout par peur de déposer plainte. » Parallèlement à ce dispositif, la Région a donc mis en place une plateforme de signalement utilisable par les agents qui seraient témoins de faits de violence (messages ou appels incessants du partenaire de vie, intrusion sur le lieu de travail, surveillance…), ce qui permet d’alerter les assistantes sociales d’un éventuel risque. Ce qu’aimeraient surtout Valérie et Véronique, c’est que d’autres collectivités territoriales s’emparent de ce sujet… comme les y incite, d’ailleurs, l’accord du 30 novembre 2018 relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique. Pour que la peur ne soit plus la grande gagnante et que la parole des victimes de violences se libère enfin !