Emploi : protéger les salariés, vite !

temps de lectureTemps de lecture 8 min

iconeExtrait de l’hebdo n°3944

Après avoir alerté depuis des mois sur le risque de casse sociale, et devant la multiplication des plans sociaux, la CFDT présentait, ce 3 décembre, une série de propositions pour protéger les salariés et responsabiliser les employeurs sur l’utilisation des aides publiques.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 03/12/2024 à 13h00

image
© Jean-Claude Moschetti/RÉA

Certains parlent de marée montante quand d’autres n’hésitent plus à employer le mot « saignée ». Les alertes émises depuis des mois par les économistes et les militants syndicaux s’écrivent désormais sous nos yeux. Début novembre, l’annonce, coup sur coup, de plans sociaux massifs dans deux grandes entreprises françaises, Auchan et Michelin (3 650 suppressions de postes au total), avait fait figure d’électrochoc dans l’opinion publique.

Des restructurations à bas bruit

Depuis, chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles, de Valeo à General Electric, de Walor à ArcelorMittal, de Casino à Téléperformance… « Ils ne sont pourtant que la partie émergée de l’iceberg, note Marylise Léon, qui rappelle que beaucoup de restructurations en cours prennent d’autres formes, moins visibles, comme les ruptures conventionnelles collectives, les plans de départs volontaires et autres départs individuels… » Ces restructurations « à bas bruit » n’en restent pas moins douloureuses pour celles et ceux qui les vivent et ne bénéficient pas toujours des mesures d’accompagnement des grands groupes. Pour le seul mois de novembre 2024, la CFDT a dénombré plus de 20 000 emplois supprimés.

1. Activité partielle de longue durée.

Pour compléter ce triste tableau, le nombre de procédures collectives (procédures de sauvegarde, liquidation et redressement judiciaires) a atteint à la fin octobre son plus haut niveau depuis quinze ans avec 55 000 procédures engagées (+ 20 % par rapport à 2023) et 160 000 emplois directs impactés. La fin des mesures de soutien prises pendant la période Covid (prêts garantis par l’État, APLD1…) est en train de mettre un violent coup d’arrêt au sursis que s’étaient accordé certaines entreprises pour ne pas avoir à rendre compte de l’utilisation de l’argent public qui leur a été attribué ou à discuter avec les représentants du personnel de la stratégie à adopter en matière de préservation de l’emploi. « J’aimerais bien connaître le solde des emplois du plan de soutien de 8 milliards d’euros à l’automobile lancé en 2020 » s’agace, à ce propos, la CFDT Métallurgie.

Le licenciement en dernier recours

La préservation de l’emploi, c’est bien ce qui est au cœur des huit propositions présentées le 3 décembre par la CFDT à l’occasion d’une conférence de presse. « Nous devons tous, collectivement (partenaires sociaux, État, collectivités territoriales) mettre en place des réponses qui dépassent les vieilles recettes et permettent de changer de braquet, insiste Marylise Léon, qui demande expressément et rapidement l’organisation, sous l’égide du ministère du Travail, d’une large concertation relative à l’emploi et plus spécifiquement aux reconversions. « Il faut rapidement sécuriser et protéger les salariés touchés par ces restructurations et leur offrir des perspectives en facilitant leur reconversion. C’est le sujet qui doit occuper les partenaires sociaux dans cette période : créer un outil… qui fait cruellement défaut », affirme-t-elle, regrettant au passage que la négociation sur ce thème n’ait pas abouti en avril dernier.

La conférence de presse intitulée “Emploi : les solutions de la CFDT pour protéger les salariés” a eu lieu à Paris ce mardi 3 décembre.
La conférence de presse intitulée “Emploi : les solutions de la CFDT pour protéger les salariés” a eu lieu à Paris ce mardi 3 décembre.© DR

Parmi les pistes proposées, la CFDT veut obliger les entreprises à mobiliser tous les outils existants permettant d’éviter les licenciements, à savoir l’activité partielle, les prêts de personnels entre entreprises d’un même bassin d’emploi ou les dispositifs du style TransCo. « Chez Auchan, la CFDT a demandé que les salariés dont les postes sont supprimés puissent être redirigés dans d’autres enseignes de la famille Mulliez, à l’image de ce qui avait été fait il y a quelques années avec Alinea. Mais la direction d’Auchan refuse », explique Nadia Lamda, déléguée syndicale CFDT Auchan Grande-Synthe (Nord / Hauts-de-France).

En réponse à la forte dégradation de la conjoncture, un renouvellement de l’APLD est également demandé – celui-ci devant toujours être conditionné à un accord d’entreprise majoritaire et à des engagements de maintien de l’emploi et des compétences pour être efficace. Rappelons que le dispositif APLD, remodelé au moment de la crise sanitaire, permet de conserver les compétences des salariés dans l’entreprise avec une indemnité égale à 70 % de la rémunération brute.

Indispensable effort de transparence

À l’heure où les employeurs agitent le chiffon rouge afin que le gouvernement ne soit pas tenté de remettre en cause les politiques d’aides aux entreprises (notamment les exonérations de cotisations sur les bas salaires), la CFDT estime au contraire qu’il est urgent d’avoir un meilleur contrôle de l’attribution et de l’utilisation des aides publiques. « Les employeurs ont un effort de transparence à faire pour rendre public ce qu’ils ont perçu », poursuit la secrétaire générale de la CFDT. Concrètement, cela passe par l’évaluation de l’utilisation des aides publiques via un avis conforme du CSE et, le cas échéant, par le remboursement des aides si l’entreprise en restructuration réalise des bénéfices. « L’homologation des PSE d’entreprises n’ayant pas rendu public ce bilan ou ayant distribué des dividendes à leurs actionnaires pourrait ainsi être refusée », suggère la CFDT.

Loi Florange

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Enfin, la CFDT souhaite une révision de la loi Florange de mars 2014, qui oblige les entreprises de plus de 1 000 salariés à chercher un repreneur avant de fermer un site. « Cette loi a fait ses preuves mais nous devons trouver les moyens de l’améliorer. N’en faire qu’une question d’abaissement des seuils [comme le propose la CGT] n’est pas suffisant », plaide Fabien Guimbretière, secrétaire national chargé de l’industrie. La CFDT propose ainsi qu’une étude d’impact de la fermeture d’un site sur la sous-traitance et le bassin d’emploi soit systématisée. Une urgence quand on sait qu’à Vencorex, par exemple, plus de 5 000 emplois sont menacés dans la chimie en Isère par la seule fermeture du site. « Il faut agir, et agir vite !, assène Marylise Léon. Malheureusement, comme à chaque fois, on ne compte sur les organisations syndicales que pour faire les pompiers… »

Que sait-on de l’“APLD rebond” proposée par le gouvernement ?

Au lendemain d’une nouvelle vague de plans sociaux percutant l’industrie (Valeo, ArcelorMittal…), le Premier ministre, en déplacement à Limoges, a pris tout le monde de court en présentant un nouveau plan baptisé « Ambition pour l’industrie » à grand renfort de fonds d’urgence (250 millions d’euros pour l’automobile, 425 millions pour l’aéronautique) et de « nouveaux » dispositifs. « Ce plan pour l’automobile a été annoncé et imaginé en dehors de toute concertation », s’agace à ce propos Marylise Léon.

Pour prévenir les licenciements en cas de ralentissement de l’activité, certains dispositifs d’accompagnement des salariés et des entreprises pourraient ainsi être reparamétrés – à l’image de l’APLD, que l’exécutif souhaite transformer en « APLD rebond ». L’idée consiste à renforcer l’engagement de l’employeur à former ses salariés et à accélérer les reconversions éventuelles. « Malheureusement, l’APLD rebond ne semble viser que l’industrie, or, ce que l’on voit, c’est que tous les secteurs sont concernés », poursuit la secrétaire générale de la CFDT. Les modalités de mise en œuvre (durée, taux de prise en charge…) n’ont pas encore été précisées. Seule certitude : si elle devait être mise en œuvre, cette APLD rebond passera bien par la négociation collective, les partenaires sociaux bénéficiant de six mois à compter du 1er janvier 2025 pour négocier un accord.