Temps de lecture 6 min
Extrait de l’hebdo n°3906
Accordant une large place au travail dans son discours de politique générale, Gabriel Attal a levé le voile sur plusieurs chantiers esquissés ces dernières semaines par l’exécutif. Avec, à la clé, des mesures-chocs. La CFDT s’inquiète d’une énième attaque en règle des plus fragiles.
« Affronter pour avancer » : c’est par ces mots, plusieurs fois répétés, que le Premier ministre a rythmé son discours de politique générale. Un discours attendu, dans lequel le travail tient une large place, tout comme la volonté de réformer un modèle social pourtant salué comme « protecteur » et envié dans le monde entier. « Chercher un modèle social plus efficace et moins coûteux, ce n’est pas un gros mot, c’est un impératif », a-t-il affirmé le 30 janvier dernier devant les députés. À cette fin, il avance plusieurs chantiers pour « faire en sorte que ceux qui vont travailler puissent vivre de leur travail, et gagnent toujours plus que ceux qui ne travaillent pas ».
En direction de ceux qui travaillent, Gabriel Attal promet de « désmicardiser la France » en réduisant le nombre de branches ayant des minima en deçà du salaire minimum. Un engagement pris par sa prédécesseure, Élisabeth Borne, mais qui ne fixe toujours pas d’obligation à ce stade. Le prochain projet de loi de finances, avec l’apport des propositions des partenaires sociaux et des travaux d’experts, pourrait ouvrir la voie à une refonte du système actuel. Faut-il pour autant cesser d’indexer le Smic sur l’inflation ? Non, répond la CFDT car, selon elle, « la meilleure manière de travailler sur les évolutions salariales reste la négociation dans la branche et l’entreprise. Il faut inciter les employeurs à négocier au maximum mais en cadrant les choses de manière que les branches réfractaires à la négociation ne puissent plus bénéficier d’exonérations de cotisations ».
Des “trappes à inactivité”…
Réinterroger le modèle social, c’est également, d’après Gabriel Attal, « combattre les trappes à inactivité ». Avec une mesure-choc : la suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), créée en 1984 et accordée sous certaines conditions aux demandeurs d’emploi ayant épuisé leurs droits à l’assurance chômage. Les 300 000 personnes qui bénéficient actuellement de cette prestation financée par l’État basculeront en partie au RSA… pris en charge, lui, par les départements (qui ont d’ailleurs alerté l’exécutif sur le problème financier que cela leur pose). Au-delà du tour de passe-passe, ce basculement n’a rien d’anodin pour les personnes concernées : au RSA, on ne cotise pas pour sa retraite (alors que l’ASS, elle, donne droit à des trimestres).
« Cette décision, prise sans concertation ni étude d’impact, ouvre un nouveau procès d’intention de la part du gouvernement, estime Olivier Guivarch, secrétaire national en charge des questions d’emploi. Est-ce que la règle veut que demain, on ne cotise plus à la retraite dès lors qu’on bénéficie de la solidarité nationale ? Une fois encore, on s’attaque aux plus précaires plutôt qu’à la pauvreté avec des décisions psychologiquement stigmatisantes vis-à-vis des personnes concernées et catastrophiques sur le long terme en matière de paupérisation de la société. »
… Au nouveau tour de vis
Plus généralement, « nous devons aller plus loin dans la réforme de l’assurance chômage », prétend Gabriel Attal – alors même que les partenaires sociaux ont conclu un accord le 10 décembre 2023 sur le sujet et qu’une négociation est en cours à propos de l’emploi des seniors. « Je serai extrêmement attentif à l’évolution de la trajectoire financière de l’assurance chômage. Si cette dernière dévie, je n’hésiterai pas à demander aux partenaires sociaux de remettre l’ouvrage sur le métier, sur la base d’une nouvelle lettre de cadrage. » « Étonnant, rétorque Olivier Guivarch, quand on sait que la dernière lettre de cadrage obligeait les partenaires sociaux à prévoir une ponction de 12 milliards d’euros pour financer France Travail ! » De quoi ralentir sérieusement le désendettement du régime et faire vaciller, à dessein, ladite trajectoire…
1. Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (elle dépend du ministère du Travail).
Cette « mise sous tension des partenaires sociaux » est d’autant plus troublante qu’au même moment, le gouvernement demande à la Dares1 de chiffrer les économies potentielles d’une nouvelle baisse de la durée d’indemnisation de 20 % ou de la disparition de la filière seniors : la durée maximale d’indemnisation passerait alors de 18 à 14,5 mois pour les moins de 53 ans, de 22,5 à 18 mois pour les 53-54 ans et de 27 à 21,5 mois pour les 55 ans et plus… selon le document que s’est procuré Mediapart. « La lutte contre le chômage ne passe pas par la réduction des droits », martelait, il y a quelques jours encore, Marylise Léon, qui ne comprend pas « cet acharnement de l’exécutif à vouloir taper sur les chômeurs ».
Acte II de la réforme du droit du travail
Enfin, l’acte II de la réforme du droit du travail, un temps évoqué au printemps, devrait finalement voir le jour après l’été, avec l’objectif de « libérer les énergies de nos TPE-PME, simplifier leur quotidien et leur permettre de négocier certaines règles directement », affirme le Premier ministre. En clair : permettre à ces entreprises de déroger aux conventions collectives de branche. Les syndicats, de leur côté, s’inquiètent de la volonté persistante de l’exécutif d’aller encore plus loin dans l’esprit des ordonnances de 2017. Ils l’ont redit à Gabriel Attal lors de la prise de contact avec le nouveau Premier ministre, ces derniers jours.