Éducation à la sexualité : un droit (encore) peu appliqué

iconeExtrait du magazine n°510

Bien qu’obligatoire, l’éducation à la sexualité est loin d’être une réalité dans les établissements scolaires. L’enjeu est pourtant de taille. Il s’agit d’améliorer l’égalité entre les femmes et les hommes et de lutter contre les violences sexistes et sexuelles.

Par Fabrice Dedieu— Publié le 01/02/2025 à 09h00

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© REA

Le constat est sans appel. Depuis 2001, la loi impose qu’une « information et une éducation à la sexualité [soient] dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles » mais, dans les faits, cette obligation est loin d’être respectée.

Selon un rapport de l’Éducation nationale de 2021, moins de 15 % des élèves bénéficient de trois séances pendant l’année scolaire à l’école et au lycée, et moins de 20 % au collège. « Force est de constater que bien des élèves traversent leur scolarité sans avoir bénéficié d’une seule séance », peut-on lire dans ce document de référence.

Contre les violences, pour l’égalité

1. Éduquer à la vie affective, relationnelle et sexuelle, avis et rapport du Cese adopté le 10 septembre 2024. Disponible sur le site internet de l’institution (www.lecese.fr).

Pourtant, la nécessité d’une éducation à la sexualité, baptisée plus largement « éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle » (Evars), apparaît comme une évidence. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) l’a d’ailleurs réaffirmé dans un rapport, en septembre 20241: « Les violences sexistes et sexuelles mises au jour (harcèlement scolaire et cyber, violences faites aux femmes et aux minorités de genre, pédophilie, inceste, pornographie, féminicides) trouvent en partie leur source dans un manque criant d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle basée sur le respect d’autrui, l’égalité entre les individus, l’altérité. »

Alors, côté enseignement scolaire, quel est le problème ? Un engagement variable des établissements sur la question, une formation modeste des enseignants, mais surtout un manque de cadre réglementaire.

En l’absence de programme officiel (malgré quelques textes), difficile d’avoir des objectifs précis et des pratiques harmonisées sur tout le territoire. « Il est fondamental que l’école assume enfin son rôle pour assurer les droits que la Convention internationale des droits des enfants garantit […] en matière d’information, d’éducation et de protection », insiste le Cese.

Un projet de programme sur la table

2. Jusqu’à la fin de l’élémentaire, il s’agira d’éducation à la vie affective et relationnelle, la sexualité étant abordée à partir du collège.

La situation pourrait cependant changer. En 2023, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Pap Ndiaye, s’est saisi du problème et a demandé qu’un programme complet d’Evars soit conçu. Le processus, bien que bousculé par l’instabilité politique, a finalement abouti en novembre 2024.

Le projet repose sur trois axes développés progressivement de l’école maternelle2jusqu’au lycée : trouver sa place dans la société, y être libre et responsable ; rencontrer les autres et construire des relations, s’y épanouir ; se connaître, vivre et grandir avec son corps.

Les organisations syndicales ont pu s’exprimer durant la construction de ce texte de référence. « Beaucoup de choses ont été améliorées depuis la toute première version », fait remarquer Alexis Guitton, de la Fédération Formation et Enseignement privés (FEP-CFDT). « Nous avons pu avancer sur la question de la diversité des familles et de l’homophobie, pour évoquer ces sujets dès la primaire, et les questions LGBTI dès le collège. Tout n’est pas parfait, il reste pas mal de biais moralisateurs, par exemple. Mais le projet, qui attend la validation du Conseil supérieur de l’éducation, se rapproche des bonnes pratiques déjà en cours. S’il est adopté, ce sera une avancée importante. Même si trois séances de deux heures par an, ça reste peu… »

“La question d’associer les parents doit se poser, bien sûr, ajoute-t-elle. Si l’école peut aider les familles à mieux échanger avec leurs ados sur ces thèmes, c’est tant mieux ! ”

Laetitia Aresu, militante CFDT.

Selon Laetitia Aresu, de la Fédération CFDT Éducation Formation Recherche publiques (ex-Sgen-CFDT), une fois le programme adopté, d’autres problèmes devront être réglés : « Les séances annuelles devront être planifiées. Puis il faudra un portage collectif dans les établissements pour faire vivre le programme dans nos enseignements spécifiques, comme cela est proposé. Et nous former. Actuellement, rien n’est prêt. L’Evars ne doit pas rester une théorie. »

Associer les parents

« Passer de l’obligation à l’application », comme le préconise le Cese, ne sera pas simple, tant ce projet de programme doit aussi faire face à de farouches opposants.

Le Secrétariat général de l’Enseignement catholique a émis de « sérieuses réserves », l’accusant de prendre « le parti de se substituer à la responsabilité éducative des parents ».

Le Syndicat de la famille (anciennement « La Manif pour tous », qui a lutté contre le mariage homosexuel) a, quant à lui, dénoncé, un programme « bourrage de crâne progender et transactiviste ».

« De la pure idéologie, balaie Laetitia Aresu. Je suis consternée, parce qu’on a vraiment besoin d’informer, d’accompagner les enfants, les jeunes dans leur construction, dans leur façon de construire leurs relations, et je pense que ça se fait aussi en classe. »

La militante rappelle au passage que 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles et que 5,4 millions d’adultes l’ont été dans leur enfance. « La question d’associer les parents doit se poser, bien sûr, ajoute-t-elle. Si l’école peut aider les familles à mieux échanger avec leurs ados sur ces thèmes, c’est tant mieux ! »

À propos de l'auteur

Fabrice Dedieu
Journaliste

Reste à savoir si ce programme fera les frais de la situation politique actuelle. La nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, a déclaré qu’il devrait être adopté en début d’année, mais le risque de voir le sujet de l’éducation à la sexualité instrumentalisé politiquement n’a jamais été aussi élevé… Les élèves seraient alors les premières victimes.