Doliprane passe sous pavillon américain

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iconeExtrait de l’hebdo n°3938

Le 21 octobre, le géant français pharmaceutique Sanofi confirmait la vente de sa filiale Opella à un fonds d’investissement américain, annoncée dix jours plus tôt par voie de presse. Abasourdis, les salariés se disent inquiets de la stratégie industrielle que sous-tend cette cession malgré les quelques avancées obtenues par la mobilisation. Retour sur une semaine rocambolesque.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 22/10/2024 à 12h00

Au micro, Humberto De Sousa, coordinateur CFDT, le 17 octobre dernier sur le site Sanofi de Compiègne.
Au micro, Humberto De Sousa, coordinateur CFDT, le 17 octobre dernier sur le site Sanofi de Compiègne.© Syndheb

Fin du suspense pour le Doliprane. Après plusieurs jours de soubresauts, un « accord tripartite » visant la cession de 50 % de la filiale Opella (qui commercialise le Doliprane) semble avoir été trouvé entre le groupe Sanofi, l’État et le fonds américain CD&R. Les rumeurs couraient depuis près d’un an. Mais l’annonce de l’entrée en négociation officielle avec le fonds d’investissement états-unien, le 11 octobre dernier, a mis le feu aux poudres. « C’est comme une affreuse gueule de bois qui dure et qu’aucun comprimé ne parvient à soulager, résume Jean-Luc, salarié de Sanofi à Compiègne (Oise / Hauts-de-France). Pourtant, pendant le Covid, on était là, sept jours sur sept. On nous a dit merci, d’ailleurs. Aujourd’hui, on nous dit une deuxième fois merci. Merci… et au revoir. »

Depuis ce 11 octobre, les salariés et leurs représentants sont sur le qui-vive. Le jeudi 17, ils étaient d'ailleurs une centaine à s’être rassemblés devant les grilles de l’usine de Compiègne et à peu près autant à Lisieux (Calvados / Normandie), les deux sites de production d’Opella. Tous répondant à l’appel à la grève reconductible lancé par la CFDT et la CGT. « On veut rester Sanofi mais, plus que tout, on ne veut pas passer sous pavillon américain, résumait alors Humberto De Sousa, coordinateur CFDT Sanofi. Pour nous, il ne pouvait pas y avoir de choix plus inquiétant, car on connaît leur variable d’ajustement : l’emploi. C’est toujours l’emploi qui trinque. »

Un symbole de la souveraineté sanitaire

Par-delà les salariés, la vente des 50 % d’Opella suscite l’émoi tant auprès du grand public que de la classe politique. Et pour cause : elle intervient quatre ans après la crise Covid et la pénurie de certains médicaments – les Français découvrant avec stupeur que le paracétamol était produit hors de France. Pour la première fois, la question de la souveraineté se posait alors en matière de sécurité sanitaire. Afin de réarmer l’Europe après la crise Covid, l’État annonce la construction d’une usine de production de paracétamol à Roussillon (Isère / Auvergne-Rhône-Alpes), censée ouvrir en 2026. Pas de quoi, pourtant, couvrir les besoins en paracétamol. Selon la CFDT, l’usine iséroise aurait une capacité de production de 3 400 tonnes par an. « Cela ne couvre même pas la moitié de la consommation française », explique Régis Perroux, délégué syndical et secrétaire CSE du site de Compiègne. « Déléguer notre capacité à soigner à d'autres est une folie, proclamait Emmanuel Macron pendant la crise Covid. Quatre ans plus tard, on est en train de sacrifier notre souveraineté sanitaire sur l’autel de la rentabilité. »

À gauche, Régis Perroux, délégué syndical et secrétaire CSE du site de Compiègne.
À gauche, Régis Perroux, délégué syndical et secrétaire CSE du site de Compiègne.© Syndheb

40 millions d’euros d’amende

Sommé de réagir dans cet imbroglio politico-médiatique, l’État français a finalement décidé d’entrer au capital d’Opella à hauteur de 1 à 2 % (via Bpifrance) afin, selon lui, de « veiller au respect des exigences de l’État sur l’emploi, la production et l’investissement ». Les services de Bercy estiment en effet avoir obtenu certaines garanties dans l’accord tripartite trouvé ce 21 octobre quant à la pérennité des sites de production de Lisieux et Compiègne, avec un volume minimal de production. Des pénalités pouvant s’élever jusqu’à 40 millions d’euros s’appliqueraient ainsi en cas d’arrêt de la production sur ces deux sites ainsi qu’une amende de 100 000 euros par emploi supprimé par un licenciement économique contraint. De son côté, Opella s’engagerait à maintenir son approvisionnement auprès de fournisseurs et sous-traitants français, en particulier le producteur du principe actif du paracétamol (groupe Seqens), par un contrat de fourniture à long terme.

Pour Adrien Mekhnache, délégué syndical central adjoint de Sanofi - Opella, ce n’est pas suffisant. « Ce ne sont pas les sanctions financières qui arrêteront CD&R. Que représentent 100 000 euros par départ contraint quand Sanofi réalise 12 milliards d’euros de bénéfices par an ? » Il regrette également que les salariés et leurs représentants n’aient pas eu leur mot à dire. « La stratégie de Sanofi est la même depuis le début : exclure les salariés et les syndicats de toute négociation. Sanofi déroule son plan sans s’encombrer du dialogue social. » À Compiègne, on se souvient bien du dernier PSE, en 2014, et des ruptures conventionnelles qui ont suivi à bas bruit. « 62 salariés, partis de manière volontaire, en 2016… une stratégie permettant de ne pas alerter l’État », assure Régis Perroux.

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Les suites pour le mouvement

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Pourtant, cette fois-ci, il va bien falloir discuter et reprendre le dialogue. « Personne ne se satisfait de cette décision, tant elle suscite inquiétudes et ressentiments chez les salariés », assurait la Fédération Chimie-Énegie. Encore abasourdis, les salariés ont néanmoins été invités à suspendre temporairement la mobilisation. Car les syndicats le savent : c’est une course de fond qui s’annonce désormais. Il va falloir discuter de l’accord de méthode et des mesures d’accompagnement consécutifs à la cession. Le maintien dans l’emploi, la sauvegarde des acquis sociaux sont deux éléments prioritaires pour les salariés de Sanofi - Opella, qui bénéficient des accords du groupe. « Quels que soient les engagements pris, il va falloir que les mots s’accompagnent d’actes », résume Adrien Mekhnache.