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Extrait de l'hebdo n°3958
Cinq ans après le début de la pandémie de Covid qui les a mis en lumière, les salariés dits essentiels attendent toujours que les promesses de reconnaissance et de revalorisation deviennent réalité. La CFDT Services tenait, le 17 mars dernier, une conférence de presse pour rappeler au bon souvenir des patrons et du gouvernement le sort de ces travailleurs.

« C’est un événement pour commémorer un non-événement. » Dès les premières minutes de la conférence de presse, le ton est donné. « Car pour les essentiels, poursuit la Fédération CFDT des Services, il ne s’est rien passé ces cinq dernières années. » Salariés de la grande distribution, de la sécurité privée, de la propreté, du médicotechnique, des services à domicile ou encore de la restauration collective, ils ont été célébrés pendant la pandémie de Covid-19, applaudis aux fenêtres au même titre que les soignants. Des promesses ont été faites pour mieux reconnaître ces métiers qui payent à quelques euros du Smic et aux conditions de travail si compliquées. Hélas, cinq ans plus tard, rien ou presque n’a bougé.
Pourtant, l’espoir pouvait être de mise, une dynamique s’était enclenchée. Alors ministre du Travail, Élisabeth Borne a commandé à la fin de l’année 2020 un rapport sur les métiers concernés afin de mieux les identifier et « veiller à ce qu’aucun ne soit oublié dans le travail de revalorisation demandé aux branches professionnelles », peut-on encore lire sur le site du ministère. Au total, 4,6 millions de salariés étaient identifiés comme étant de la deuxième ligne, c’est-à-dire des personnes qui n’étaient pas des soignants mais qui ont continué à travailler sur site durant le premier confinement, car leur activité, indispensable, ne pouvait être télétravaillée.
Espoir mais scepticisme
« Les promesses gouvernementales de reconnaissance ont été accueillies avec espoir et scepticisme », se rappelle Layla Mabrouk, de l’entreprise de nettoyage (entre autres) Atalian, venue témoigner à la conférence de presse. « Nous sommes retournés très rapidement dans l’ombre. Il y a eu des paroles mais pas d’actes concrets par la suite. » M’hamed Buhallut, négociateur de branche et secrétaire général du Syndicat CFDT francilien de la propreté et du nettoyage, abonde : « Nous n’avons rien eu, pas de compensations. Les salaires restent légèrement au-dessus du Smic pour des conditions de travail inhumaines. Et il y a toujours une concurrence sauvage visant à tirer les prix vers le bas. »
Même constat dans le domaine de la sécurité privée. « Nous avons toujours été là, explique Ahmed1. Nous sommes restés douze heures debout à gérer des files d’attente. Avec la peur de ramener le virus à la maison. Il y a eu des promesses d’augmentation de salaire, de primes. On n’a rien eu ! » Un salarié de la branche de la sécurité ajoute : « Nous touchons des primes symboliques, de l’ordre de 80 euros. Mais si le prix de la prestation augmente, le client veut revoir le contrat… »
“On ne négocie que des centimes”
Du côté des services à la personne, « il y en a eu, des négociations de branche, en cinq ans », rappelle la négociatrice Zaneta Wozniak ; « ça n’a rien donné, comme vous l’imaginez. On ne négocie que des centimes. C’est pourtant une branche essentielle qui prend soin de la naissance jusqu’au décès ». Le dernier accord de branche étendu sur les salaires, en date du 22 janvier 2024, propose une grille qui débute à 11,68 euros bruts l’heure… soit trois centimes de plus que le Smic horaire en vigueur à ce moment-là. L’échelon le plus élevé, le IV, propose un salaire de 12,11 euros bruts l’heure, 43 centimes de plus, donc, que le premier niveau.
Si les négociations dans la branche médicotechnique (location et vente de matériel pour l’assistance à domicile des personnes malades ou en situation de dépendance) ont plutôt été fructueuses à la fin 2023, avec notamment + 4,4 % pour le premier niveau, la tonalité a changé en 2025, lorsque la grille a été rattrapée par le Smic : « Nous avons commencé la négociation à + 0,2 %, et la dernière proposition était à + 1,2 %. Nous n’avons pas signé », a indiqué Lahouari Boubekeur, secrétaire national chargé de cette branche.
Dans la restauration collective, la grille de branche a suivi l’évolution du salaire minimum, passant de 9,88 euros bruts pour le premier échelon en 2018 à 11,66 euros en 2024, et avec toujours sept euros d’écart par heure entre le premier et le neuvième et dernier échelon… Selon le négociateur CFDT de cette branche, Alain Fusis, « les trois majors, Elior, Sodexo et Compass, se partagent le marché avec une course au moins-disant social et, évidemment, des répercussions sur les salaires ».
L’amertume est également présente dans la grande distribution. « Nous avons pris des risques pour continuer de distribuer les produits de première nécessité », rappelle Pascal Valaeys, du magasin Carrefour de Chartres (Eure-et-Loir / Centre-Val de Loire). Son collègue Arnaud Malard, d’Étampes (Essonne / Île-de-France), se souvient avoir touché deux primes de partage de la valeur de 1 000 euros… mais il devra bientôt faire face au passage en location-gérance de son magasin, qui occasionnera son lot de chamboulements et de pertes de droits sociaux : « Les promesses faites aux salariés sont détricotées. »
Trouver des leviers d’amélioration de la situation
Si Véronique Revillod, la secrétaire générale de la CFDT Services, reconnaît qu’il existait une volonté gouvernementale de faire changer les choses en 2021, avec des convocations envoyées aux branches, « il y a eu un petit problème de suivi depuis ». Serait-ce dû au fait que la France a changé quatre fois de Premier ministre ? « Mais il est tout à fait possible de reconvoquer. Les députés peuvent aussi demander aux organisations patronales de s’expliquer, ajoute-t-elle. Il va aussi falloir se poser sérieusement la question de la prestation de service » pour éviter que les salaires ne soient la variable d’ajustement des appels d’offres.
Autre levier d’action, améliorer les conditions de travail : « Il y a des mesures qui ne coûtent pas un euro mais qui ne sont pas déployées. » Et Véronique Revillod de prévenir : « On va avoir du mal à retenir les salariés dans leur colère. On n’est pas très loin de voir tous les entrepôts alimentaires bloqués. Et là, ce ne sera plus à nous de trouver le levier ! » Aux organisations patronales et au gouvernement d’entendre le message…