Extrait du magazine n°500
Avec son complice, Nans, il forme le duo « Nus & culottés » bien connu des téléspectateurs de France 5 depuis 2012. Loin du star-système, ce militant défend des valeurs profondément humanistes. Chaque voyage est avant tout une quête pour, au cœur du dénuement, renouer avec l’essentiel : les liens avec nos semblables. Rencontre.
1. ce voyage a donné lieu à un ouvrage : EcoAmerica – Voyage en quête de solutions durables. Guillaume Mouton. Géorama éditions, 452 pages
Comment vous est venue l’idée de partir sans vêtements, sans argent, avec l’objectif de réaliser un rêve un peu fou, comme rencontrer un druide ou aller manger un chocolat avec le roi des Belges ?
Cela vient d’une grande soif de rencontres, de liberté, de nature et d’un besoin de voir le monde. Quand nous étions étudiants en école d’ingénieurs, Nans et moi sommes partis, chacun de notre côté, pour une année de césure. Avec ma compagne de l’époque, j’ai fait le tour du continent américain en stop, avec le projet de rencontrer des acteurs d’ONG, des chercheurs, des startupers qui mettent en œuvre des solutions techniques, environnementales mais aussi juridiques, en faveur du développement durable. Je me sentais, à cette époque, un peu angoissé. Aujourd’hui, on appellerait ça de l’écoanxiété.
J’étais très soucieux des enjeux environnementaux mais je voyais trop peu de choses se mettre en place. Le fait de faire ce voyage de 40 000 km, d’avoir rencontré une centaine de personnes engagées1 m’a fait comprendre que des solutions existent, que des budgets, on en trouve. Mais là où ça pêche, c’est sur notre capacité entre humains à coopérer. Si les humains n’arrivent pas à coopérer, on a beau avoir de l’argent, des idées, ça ne marche pas. Cette expérience incroyable m’a complètement bousculé, transformé. De même pour Nans, qui revenait de son tour d’Amérique.
De quelle manière ?
Alors que nos études devaient nous conduire à devenir des ingénieurs en génie civil, à trouver des solutions techniques pour les questions environnementales, cela a réorienté nos aspirations, nos projets. On est passé du génie civil au génie humain ! Ce sont les problématiques humaines, de coopération, qui nous ont semblé plus prégnantes. Ce qui nous animait, c’était davantage les questions autour du « comment on fait pour faire ensemble ? ».
C’est cela qui vous a donné envie de repartir ?
Oui. Surtout qu’en cours de route, j’avais attrapé le virus du voyage ! Quand je suis revenu de cette aventure, en 2009, j’étais enthousiasmé, touché au cœur par des gens qui m’ont offert à manger, où dormir, alors même qu’ils n’avaient pas grand-chose. Je réalisais que j’avais rencontré cette générosité, cette sagesse de l’humanité, que je connaissais dans les bouquins mais que je n’avais jamais éprouvée. Alors quand on s’est retrouvés, avec Nans, ça a été une évidence : il fallait qu’on reparte ensemble. Comment ? C’est là qu’on a commencé à se chauffer, à faire monter les enchères : « Allez, on part, mais cette fois sans argent », « Plus fort : sans sac à dos »… jusqu’au moment où on s’est dit : « On part à poil. » En même temps, on a senti combien en se mettant volontairement dans cette quête de dénuement, de vulnérabilité, en partant sans rien, on avait besoin d’un rêve au bout. Parce que partir à poil, ça ne suffisait pas. Il fallait un projet qui nous mobilise. Donc « Nus et culottés » est né là, dans ce coup de bluff entre potes ! Tout le monde nous disait : « C’est une folie ! ». Mais on était portés par notre amitié, par notre insouciance… Le plus fou, c’est qu’on a envoyé notre projet à une boîte de prod qui a contacté France 5 ; on a eu un rendez-vous dans la foulée et on nous a dit : « Banco ! ».
Les gens vous ouvrent leur porte, vous offrent le gîte et le couvert, vous livrent des confidences incroyables… Vous dites que sur les 512 nuits et jours passés sur la route, vous n’avez passé qu’une quinzaine de nuits dehors. Comment expliquez-vous cet accueil hallucinant ? …
Quand on fait ces voyages-là, on n’a pas d’autre choix que rester dans une posture d’ouverture. On le voit : si l’un d’entre nous a quoi que ce soit de frustré, de renfrogné, de peu avenant quand on s’adresse aux gens pour nous prendre en stop, ça ne marche pas. Après, ce n’est pas une science exacte non plus et ça ne marche pas à tous les coups ! Je me souviens d’un soir où nous avons toqué à une porte, totalement frigorifiés. Et là, on tombe sur un homme qui nous reçoit comme des chiens dans un jeu de quilles. J’ai voulu comprendre son refus, et il nous a répondu : « Je viens de perdre ma mère. » Cela m’amène à ne jamais juger. À la place de ces gens, est-ce que je ferais mieux ? Peut-être que pour eux, ce n’est juste pas le moment d’accueillir deux gars avec des jupes d’algues. On nous demande souvent : « Vous tombez sur des cons, des fois ? » Eh bien non, en fait, on tombe sur des gens qui ne sont pas dispos. Donc, respect. Je préfère garder mon énergie pour le positif. Mon passeport, c’est mon sourire.
Lorsqu’on regarde votre émission, on se dit que tout est possible quand on ose… On reste parfois limité par nos peurs, dans nos zones de confort. C’est aussi ce message que vous souhaitez partager, celui d’oser ?
Ce serait plutôt un message de l’ordre du « fais-toi confiance ». Parfois, se faire confiance, c’est justement choisir la sécurité – sortir d’une famille maltraitante, d’une relation toxique… – ; parfois, c’est partir et faire du stop dans un pays dont on ne connaît pas la langue. Tout dépend.
Cela me semblerait dangereux de dire : « N’écoutez pas vos peurs et allez-y, osez ! », comme un certain courant New Age a pu le prôner. Cette injonction peut se révéler néfaste et même dangereuse si on n’est pas suffisamment à l’écoute, relié intérieurement. Mais on peut se faire confiance, on a la boussole au fond de nous.
Au fil de toutes ces années d’aventures, n’éprouvez-vous pas une forme de lassitude ? En avançant en âge, peut-être avez-vous d’autres aspirations ?
Nous vivons un engagement dans ces voyages qui est total. Il n’y a pas de routine et pas de facilité puisque nous n’allons jamais chez des gens qui nous reconnaissent. Dans notre dernier voyage, nous n’avons rencontré quasiment que des personnes aux parcours atypiques. Ce fut incroyablement fort ! On n’en finit jamais de s’étonner de la diversité et de la richesse humaine ! Toute ma vie je serai sur ce chemin. Aujourd’hui, c’est « Nus & Culottés » ; ça prendra certainement une autre forme à un autre moment. Mais, aujourd’hui, on se sent très heureux avec Nans de continuer ces aventures.
Vous avez dit dans une interview que, parmi vos motivations, il y avait le fait d’expérimenter la « sobriété heureuse ». Qu’est-ce que cela signifie ?
C’est le fait de voir comment on peut vivre encore plus heureux en ayant moins. Dans nos périples, que j’aime bien comparer à du vagabondage, on part sans rien ; y compris en termes de capacité à maîtriser : nous ne prenons ni carte ni GPS… On fait véritablement l’expérience du manque, de la frustration, on dort parfois sur des lits moisis, etc. Mais cela fait travailler le contentement aussi : manger chaud, dormir au sec, prendre une douche chaude… C’est un précieux rappel. L’eau potable, ce n’est pas un dû, c’est un bien précieux dont il faut prendre soin. Dans notre quotidien, nous sommes accros au pétrole : le pétrole a amené le confort, il nous permet de manger, de nous habiller, avec des choses cultivées ou produites à l’autre bout de la Terre. On est complètement dopés à cela. Aussi, cette expérience du dépouillement nous ramène à l’essentiel. Et, pour moi, le vagabondage et la conscience des enjeux environnementaux et sociaux sont tout à fait liés. Partir vagabonder sur les routes, c’est à la fois un laboratoire et un endroit pour se rappeler, sortir de l’amnésie que nous apporte le confort.
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