Des lignes et des liens

Enfant, je griffonnais sur un cahier des formes, des lignes, des triangles. C’était ma façon à moi de faire du beau avec ce que je savais faire : la géométrie. Je cherchais une sorte de règle mathématique. Plus tard, j’ai pratiqué le tai-chi-chuan. J’ai appris à refaire toujours le même geste, je me suis imprégné de la pensée chinoise. J’ai toujours été attiré par la philosophie. Lorsque j’ai vécu un chapitre difficile dans ma vie, je me suis retrouvé à dessiner sur papier… La ligne droite de mon enfance s’est courbée comme les mouvements du tai-chi. J’ai commencé à dessiner une ligne, puis deux, puis trois. J’avais trouvé ma formule, ma règle.

Au début, je dessinais chez moi, c’était presque thérapeutique. Puis ça a commencé à prendre des proportions inquiétantes, et je me suis résolu à sortir prendre l’air. Comme je ne savais pas quoi faire dehors je me suis dit pourquoi ne pas faire des lignes. Au début, je n’étais pas très sûr de moi, je ne voulais pas gêner. Je dessinais à la craie, à même le sol. C’est comme ça que ça a commencé, devant l’église Saint-Vincent-de-Paul à Paris, en 2015. Des gens s’arrêtaient pour me parler, prendre des photos, me questionner sur les lignes. Je n’avais aucune formation. C'est en prenant conscience du regard des autres que j’ai commencé à me sentir artiste. J’ai eu le sentiment de pouvoir changer le monde. C’est à ce moment-là qu’une démarche artistique est née.

J’ai du mal avec ce qui reste. La craie sur les murs, ça reste. C’est pour ça que je travaille beaucoup au sol. Les murs de Paris sont déjà bien chargés. Et puis au nom de quoi est-ce que j’aurais plus le droit qu’un tagueur d’occuper l’espace urbain. Donc je dessine au sol à partir de matériaux éphémères. J’utilise aussi parfois de la peinture. Par exemple, en 2019, j’ai entamé la série « Jaune signalétique » pour alerter les passants sur les risques de la rue. À l’époque, j’avais un kiné aveugle qui se plaignait des trous dans la chaussée. Moi, je ne les voyais pas. En m’y intéressant, je me suis rendu compte que l’espace urbain mal entretenu pouvait devenir un véritable parcours du combattant pour des personnes en fauteuil roulant. On ne voit d’ailleurs presque personne avec un handicap visible en ville. Pourquoi ? Est-ce qu’elles n’osent pas sortir de chez elles ? J’ai décidé de marquer ces espaces accidentés à la peinture pour les signaler aux piétons et aux pouvoirs publics. De temps en temps, j’ai envie que mes lignes foutent une pichenette.

Le conseiller principal d’éducation à l’initiative du projet, Jérémy Besse, est un homme incroyable qui a transformé son collège en quelques années. Il a compris que pour que les gens progressent, il faut créer du lien. Une cinquantaine d’élèves sont venus à Paris pour visiter mon atelier. Certains ont commencé à dessiner des lignes sur le trottoir. Ça m’a touché. Jérémy a alors lancé ce projet fou d’une grande fresque éphémère qui serait réalisée avec tous les élèves de l’établissement. J’étais d’accord, mais il fallait que les jeunes travaillent en amont. Je leur avais envoyé un tuto sur TikTok où j’expliquais les lignes. C’est la force des lignes. Même un enfant peut les dessiner. Et avec 2,4 millions d’abonnés TikTok, j’étais, pour ces jeunes, une véritable star. Ça m’a permis de les initier à l’art moderne.

Au départ, Solidarités international m’a commandé un dessin pour sensibiliser le public aux difficultés d’accès à l’eau potable dans certaines régions du monde. J’imaginais quelque chose de plus grand, de plus concret, qui frappe les gens.

J’ai eu l’idée d’une fontaine éphémère cubique où les passants feraient la queue pour venir remplir une petite bouteille d’eau. Mais l’association n’avait pas le budget. J’ai donc proposé d’autofinancer le projet. J’ai réalisé un cube de 3,60 mètres de haut et composé de 45 plaques du dessin. Nous avons attiré des milliers de visiteurs toute la journée. Mille bouteilles en forme de cubes et comportant les lignes étaient aussi à disposition des plus rapides… Chaque plaque a été créée en deux exemplaires, et l’un d’eux a été mis en vente, dont 10 % des bénéfices recueillis ont été reversés à l’ONG.

J’ai également collaboré à un clip des Restos du Cœur ou encore avec l’association de lutte contre le cancer des enfants, Imagine for Margo. Je participe aussi cette année, pour la deuxième fois, à la vente aux enchères caritative organisée par l’association La Source, créée par Élisabeth et Gérard Garouste, dont l’objectif est de favoriser l’épanouissement des enfants en situation de fragilité à travers l’accès à l’art et à la culture. Ce sont des projets qui me tiennent à cœur.

Mon grand-père était syndicaliste. Il s’est battu pendant des années pour des causes qui lui tenaient à cœur. J’ai grandi dans ce milieu. Mes grands-parents m’ont appris le partage, l’ouverture aux autres, l’importance de créer du lien, de faire tomber les clivages. J’aime l’idée de donner sans forcément vouloir convertir l’autre. C’est ce qui m’a séduit dans le projet avec la CFDT. Il s’agissait d’ouvrir à l’art contemporain un espace très connoté. De faire entrer dans un local professionnel des gens qui n’y seraient pas forcément entrés autrement. J’avais du syndicalisme l’image que m’en donne la télé, très revendicateur quand quelque chose ne va pas. Il s’agissait
avec ce projet d’ouvrir les locaux de la CFDT aux habitants du quartier, de créer du lien avec des gens qui ne sont pas des militants. De s’ouvrir aux autres. C’était dans ma ligne directrice.