Extrait de l’hebdo n°3927
Alors que le Palais Bourbon ouvre officiellement ses portes aux 577 députés de la nouvelle législature ce 9 juillet, la CFDT dresse les premiers enseignements de cette séquence politique inédite qui aura poussé le pays au bord de l’abîme.
En annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale début juin, Emmanuel Macron voulait une « clarification ». Celle-ci s’est produite, sur un point : les Français, avec un taux de participation inégalé depuis 1997, ont montré qu’ils ne voulaient pas du Rassemblement national au pouvoir.
Face au risque démocratique, le front républicain a tenu – refusant la politique du pire. Un soulagement, réel, qui ne doit pas nous faire oublier que la dynamique politique de l’extrême droite n’a jamais été aussi forte.
Le nombre de leurs députés s’élève désormais à 143 sur 577 sièges . Leur score a presque doublé depuis 2022. Pour le reste, le résultat des urnes plonge la France dans l’inconnu avec un hémicycle sans majorité divisé en trois blocs de taille comparable : le Nouveau Front Populaire (182 sièges), la coalition présidentielle (163) et l’extrême droite (143).
Reconstruction démocratique
Aussi, si le pire est écarté, le travail ne fait que commencer, estime la CFDT qui en appelle d’abord aux forces politiques : « Les représentants politiques ont l’énorme responsabilité de ne pas tout bloquer », estime sa secrétaire générale, Marylise Léon.
Pas question, en somme, de faire comme si rien ne s’était passé et de repartir comme avant, par confort ou par calcul politique. « Notre avenir démocratique exige que tous les acteurs responsables de ce pays prennent la mesure du cataclysme auquel nous échappons de justesse. »
En cela, « le rôle des partenaires sociaux et de la société civile organisée pour apaiser les relations et répondre aux attentes des citoyens est primordial. Le futur gouvernement devra faire avec la CFDT ! »
“Cette dissolution aura eu le mérite de la clarification du côté syndical aussi.”
Côté syndical, la CFDT doit aussi prendre part à cette reconstruction démocratique et traiter les ressorts du vote de l’extrême droite à la racine. Pendant toute la campagne, elle a su rester fidèle à sa ligne « ni neutre ni partisan » – appelant dès le 10 juin avec une partie des organisations syndicales au sursaut démocratique et social ; multipliant les actions de terrain tout au long de la campagne et dans l’entre-deux tours (tractage, débats, webinaires, courrier aux adhérents…).
Ce ne fut pas le cas de toutes les organisations syndicales et patronales, tant s’en faut. Cette dissolution aura eu le mérite de la clarification du côté syndical aussi, estime Marylise Léon, qui, dans une interview publiée début juillet dans le journal Les Échos, trouvait « extrêmement inquiétant qu’aujourd'hui les organisations patronales ne se positionnent que sur des questions économiques alors que les entreprises sont censées être les acteurs de la démocratie sociale, partie prenante de la démocratie tout court ».
Aujourd’hui, elle entend « continuer à prendre sa part, avec détermination […] en écoutant les salariés et les agents de la fonction publique, en les associant davantage aux décisions qui les concernent, en exigeant que la dignité et le respect qu’ils réclament soient enfin reconnus ». Le chantier de la reconnaissance et de la dignité des travailleurs est immense pour toutes les parties prenantes, si elles veulent lutter contre ce sentiment d’abandon et de déclassement croissant qui mine la démocratie, et qui a placé l’extrême droite non plus comme un choix de résignation mais comme un vote d’espoir.
Dans sa dernière étude, intitulée « Le bras long du travail », le chercheur Thomas Coutrot identifiait d'ailleurs les corrélations très nettes entre le vote RN et l’impossibilité de s’exprimer sur son travail et d’agir sur la manière de le faire. « Ces liens établis entre le sens du travail, la reconnaissance au travail et les comportements électoraux doivent nous amener à faire du travail le cœur de notre action syndicale », plaide la CFDT.
Formation syndicale
Mais la lutte contre l’extrême droite n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Dans certains territoires, les outils de communication appelant à faire barrage au Rassemblement national n’ont pas été distribués. Les militants du pro comme de l’interpro pointent cette difficulté d’aborder la lutte contre l’extrême droite sur les lieux de travail, par peur du clash ou de la désertion d’adhérents qui considèrent qu’il n’est pas du ressort d’un syndicat de se positionner sur ces questions.
Certains, aussi, craignent le retour de bâton au moment des élections professionnelles… alors même que la parole raciste se libère – comme si le silence, en l’espace d’une échéance électorale, avait changé de camp. « Il va nous falloir accompagner les militants, revitaliser la culture du débat par la réaffirmation de nos valeurs, et accélérer notre politique de formation syndicale », appelle la CFDT. Une nécessité, surtout depuis le boom des adhésions enregistrées en 2023 et début 2024.
La formation politique des responsables et l’accompagnement des équipes syndicales, chantiers internes engagés au congrès de Lyon, sont plus que jamais prioritaires, tout comme le chantier « Faire vivre notre démocratie ».
« La marée monte, mais elle n’est pas montée assez cette fois-ci », a lâché la présidente du RN au soir du second tour. Mais, dans un an (en cas de nouvelle dissolution) ou dans trois ans, une nouvelle vague bleu marine pourrait surgir. Et cette fois, emporter la digue…