Chez Orange, RSE et déménagement ne font pas bon ménage

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iconeExtrait de l’hebdo n°3918

Depuis quelques années, Orange s’est mise à l’heure américaine des campus d’entreprises. Dans la région toulousaine, le “Campus Tolosa” accueille ainsi 1 250 salariés dans un cadre qui se veut plus vert et offrant de meilleures conditions de travail. Un sentiment que ne partage pas la CFDT, qui attaque le géant des télécommunications pour manquement à ses obligations RSE.

Par Sabine Izard— Publié le 30/04/2024 à 12h00

Corinne Lopez, déléguée syndicale CFDT DTSI, et Jean-Michel Dehez, le responsable syndical CFDT du CSE de la DTSI d’Orange.
Corinne Lopez, déléguée syndicale CFDT DTSI, et Jean-Michel Dehez, le responsable syndical CFDT du CSE de la DTSI d’Orange.© Syndheb

« Puisque l’entreprise nous bassine avec ça, nous avons décidé de la prendre au mot », lâche Jean-Michel Dehez, le responsable syndical CFDT du comité social et économique (CSE) de la direction technique et du système d’information (DTSI) d’Orange. Fin 2023, les élus du CSE détablissement, avec le soutien de la F3C CFDT mais aussi de l’Unsa et de Sud, ont en effet décidé d’assigner l’entreprise pour manquement à ses obligations en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE).

Tout commence en 2017. Orange a alors pour volonté de regrouper ses salariés sur un seul site. En Haute-Garonne, c’est la commune huppée de Balma, aux portes de Toulouse, qui retient son choix. En 2021, le Campus Orange Tolosa sort de terre. Il se présente comme un petit village qui regroupe, dans quatre bâtiments, 1 250 salariés, fédérant ainsi 12 sites Orange antérieurs. Avec son rooftop, ses espaces de convivialité, sa salle de relaxation, sa cantine bio et ses espaces de travail très lumineux, il flatte la communication du groupe, qui revendique une amélioration des conditions de travail et un impact positif du nouveau bâtiment sur le plan écologique et environnemental.

1. Le « Campus Tolosa » est présenté comme un ensemble énergétiquement performant et le site de Portet-sur-Garonne comme une passoire thermique.

Mais pour les élus du CSE de la DTSI, le projet immobilier retenu est très loin des engagements pris par l’entreprise au titre de la RSE. Lorsqu’ils apprennent, en février 2022, que 203 salariés de la DTSI de Portet-sur-Garonne rejoindront le nouveau campus fin 2023, ils comprennent très vite que les raisons sont surtout budgétaires. « Pour la direction, ce projet représente une économie de 966 000 euros par an correspondant aux loyers, taxes et charges liés à la fermeture du site de Portet-sur-Garonne, au détriment des salariés, qui vont perdre en pouvoir d’achat », raconte ainsi Patricia Bandres, rapporteure à la CSSCT-Transverse du projet déménagement. « L’entreprise justifie son projet par une amélioration de son bilan carbone1 et un cadre de travail propice à renforcer les interactions des salariés et des équipes, favorisant ainsi le travail collaboratif », poursuit la militante.

Un projet rejeté par une majorité de salariés

Pourtant, pour nombre de salariés, l’impact sur les conditions de travail est important. Le site vers lequel le déménagement est prévu est particulièrement mal desservi par les transports en commun, de sorte que la quasi-totalité des salariés sont contraints d’utiliser leur véhicule personnel pour s’y rendre. « Je mets une heure et demie pour aller de chez moi jusqu’à Balma, raconte ainsi Patricia. De fait, la ville est l’une des plus chères de la région toulousaine, tout le monde ne peut pas s’y installer. » Pour beaucoup, le site de Portet se situe en moyenne à vingt-cinq minutes du domicile en transport individuel, contre plus d’une heure et demie en transports en commun pour le « Campus Tolosa ». « Certaines de nos collègues sont des mamans seules. Il y a des rendez-vous médicaux, des rendez-vous scolaires à honorer. La proximité leur permettait de concilier vie professionnelle et vie privée. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ! »

Au vu des inquiétudes importantes exprimées par les salariés, les élus choisissent, en octobre 2022, de recourir à un expert pour pallier les lacunes du projet présenté par Orange. Ils dénoncent notamment l’étude d’impact environnemental et social du projet, qui, selon eux, ne tient pas compte des émissions importantes de CO2 engendrées par l’allongement des temps de déplacement des salariés (en distance mais aussi du fait de la saturation du réseau routier autour de Toulouse aux heures de pointe). En parallèle, un sondage en interne est lancé : 66 % des salariés se déclarent contre le projet de fermeture du site de Portet-sur-Garonne. 

Un rapport d’expertise et une action en justice

Présenté au CSE en mars 2023, le rapport d’expertise du cabinet Syndex met en évidence que, outre l’impact sur la santé et la sécurité des salariés (stress, sécurité routière, etc.), le projet de déménagement tel qu’il a été défini par la société génère un bilan de 149 tonnes de CO2 supplémentaires par an, soit l’empreinte carbone annuelle de 17 Français ou encore l’équivalent de 85 allers-retours Paris-New York. En outre, l’allongement des temps de trajet a un impact sur les encombrements, l’attractivité du territoire, l’insécurité routière ainsi que sur les dépenses de santé.

« Orange a pris de nombreux engagements sociétaux et environnementaux afin de réduire son empreinte environnementale et énergétique, raconte Jean-Michel Dehez. Elle s’est clairement engagée sur ce point auprès de ses parties prenantes, notamment ses salariés et les élus territoriaux. » Le CSE de l’établissement décide donc de rendre un avis négatif sur ce projet. Fin 2023, l’entreprise organise, de son côté, le déménagement des salariés de Portet-sur-Garonne vers Balma, sans tenir compte des propositions alternatives travaillées et formulées par le CSEE pour accueillir les salariés de Portet dans de meilleures conditions. « On avait en face de nous un rouleau compresseur. Ils n’ont lâché sur rien, alors que les autres solutions que nous leur proposions permettaient une meilleure empreinte carbone, raconte Corinne Lopez. Orange a refusé d’étudier toutes nos propositions. »

À propos de l'auteur

Sabine Izard
Rédactrice

Fin 2023, les élus du CSEE passent à l’action et décident d’assigner l’entreprise pour manquement à ses obligations en matière de responsabilité sociale et environnementale plutôt que sur le volet des conditions de travail. Un nouvel angle d’attaque sur le plan juridique, qui, s’il venait à aboutir, ouvrirait de belles perspectives de défense pour les équipes syndicales confrontées à des employeurs qui continuent d’utiliser leurs engagements RSE comme de simples outils marketing… La Suisse vient justement d’être condamnée par la Cour européenne des droit de l’homme (CEDH) pour inaction climatique. Dès lors, la condamnation d’une entreprise du CAC 40 pour manquement à la RSE serait un vecteur important pour éviter l’écoblanchiment pratiqué à outrance par ces entreprises.