Michelin instaure un salaire décent pour tous

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iconeExtrait de l’hebdo n°3920

Mi-avril, le groupe de pneumatique Michelin a annoncé avoir mis en place un “salaire décent” pour l’ensemble de ses 132 000 salariés dans le monde, doublé d’un “socle de protection sociale universel”. La CFDT salue l’initiative et rappelle qu’il reste encore à faire, en France, dans ce domaine…

Par Sabine Izard— Publié le 21/05/2024 à 12h00

Michelin semble parfois confondre revenu de base et rémunération globale pour définir le salaire.
Michelin semble parfois confondre revenu de base et rémunération globale pour définir le salaire.© Laurent Grandguillot/RÉA

1. Interview accordée au Parisien le 17 avril.

Pour le président du groupe Michelin, Florent Menegaux1, « les gens qui travaillent doivent pouvoir vivre correctement de leur salaire ». En ce sens, le smic en France « n’est pas un salaire décent ». Il s’est donc tourné vers une ONG, Fair Wage Network, qui calcule et actualise chaque année près de 3 000 seuils de salaires en fonction des zones géographiques et du coût local de la vie dans les différents pays du monde, pour l’accompagner dans ce projet. « Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’un salaire décent [chez Michelin] devait permettre à une famille de quatre personnes, deux adultes et deux enfants, de se nourrir, mais aussi de se loger, de se soigner, d’assurer les études des enfants, de se constituer une épargne de précaution, d’envisager des loisirs et des vacances. » En France, où le smic est à 21 203 euros brut par an, le salaire décent calculé par Fair Wage s’élèverait à Paris à 39 639 euros. Il serait moins haut au siège de Michelin, à Clermont-Ferrand : 25 356 euros, soit près de 20 % de plus que le minimum légal. « En moyenne, le salaire décent représente entre 1,5 fois et 3 fois le salaire minimum », précise ainsi Florianne Viala, directrice de la rémunération chez Michelin. Lorsque l’entreprise a commencé à regarder cette question, en 2020, 5 % de ses salariés dans le monde, soit près de 7 000 personnes, étaient en dessous de ces seuils.

Aujourd’hui, Michelin assure que tous ses salariés ont un salaire décent. Le groupe garantit par ailleurs à tous ses salariés « qui ne sont pas protégés par les lois françaises » un « socle universel de protection sociale », comprenant un congé maternité-adoption d’au moins quatorze semaines et un congé paternité de quatre semaines, rémunérées à 100 %. Il s’engage aussi à verser à la famille, en cas de décès d’un salarié, un capital d’au moins un an de salaire et une rente d’éducation.

Une décision prise sans concertation syndicale

« Le salaire décent annoncé par Michelin, qui couvre les besoins primaires mais aussi la prévoyance ou l’épargne, est une bonne chose », a immédiatement réagi Laurent Bador, délégué syndical central CFDT chez Michelin. « Même si, officiellement, en tant que syndicat, nous n’avons jamais été informés de rien. » Selon lui, la CFDT ne serait toutefois pas étrangère à cette décision. « Nous avions un militant CFDT au conseil de surveillance du groupe ces dernières années qui alertait régulièrement les membres du conseil sur cette question. Notre comité d’entreprise européen et notre comité monde discutent aussi régulièrement des rémunérations et du niveau de protection sociale dans certains pays. »

Attention toutefois : « Quand Michelin affirme qu’aucun salaire à Clermont-Ferrand n’est en dessous de 1,2 fois le smic, le groupe parle en réalité de la rémunération globale et non du salaire fixe », tempère-t-il. La différence est importante car le salaire est le revenu de base, alors que la rémunération intègre des éléments complémentaires et non garantis. Or « le salaire horaire des agents […] n’est encore pas aujourd’hui à smic + 20 % pour tous », explique-t-il. « Nous avons un désaccord avec la direction sur la base de calcul. »

L’écart de la rémunération variable demeure indécent

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Sabine Izard
Rédactrice

En outre, poursuit le délégué syndical, « nous vivons actuellement des délocalisations de services tertiaires, ou de production, de France vers des pays à salaires certes “décents” mais bien moins coûteux que des salaires français pour le groupe. Nous ne voudrions pas que le différentiel s’accentue encore ». Il rappelle également que « l’écart de rémunération variable annuelle reste “indécent” quand les agents touchent en moyenne 1 800 € (sur un maximum de 2 400 €) et que certains cadres supérieurs obtiennent plus de 100 000 € en 2024 ! ». Enfin, dans la branche du caoutchouc, l’accord sur les minima reste bloqué à des niveaux extrêmement bas… Dans ce contexte, la CFDT « demande à Michelin de se mettre autour de la table pour enrayer les délocalisations et remettre à plat les grilles de rémunération variable. La décence doit être globale et la communication cohérente pour que tous les salariés en bénéficient ».