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Extrait de l’hebdo n°3943
Trois semaines après l’annonce brutale et sans préavis de la fermeture de deux nouveaux sites Michelin à Cholet et Vannes, les salariés sont toujours sous le choc, oscillant entre colère et incompréhension. Sur le site choletais, où Michelin emploie 955 salariés, la tension est palpable.
Près des palettes encore fumantes et du monticule de pneus qui n’en finit plus de s’élever, l’effigie d’un salarié Michelin se balance au bout de la corde d’une potence. Symbole, à lui seul, du désarroi des 955 salariés de l’usine choletaise qui va fermer d’ici à 2026. Tous ont appris la nouvelle le 5 novembre dernier à la télévision. « Le lendemain, on nous a demandé de venir et, en dix minutes, on nous a expliqué qu’on fermait, résume un salarié visiblement ému. Après vingt ans de boîte, c’est violent ! »
Les nerfs, déjà à vif après plusieurs jours de blocage, se tendent un peu plus encore lorsqu’à 9 h 40, ce 19 novembre, un camion rempli de produits semi-finis se présente devant les grilles d’un portail dérobé du site. Le comité social et économique qui se tient à quelques mètres de là, dans une ambiance déjà tendue, est immédiatement ajourné. Et l’assemblée générale qui devait décider, quelques heures plus tard, d’une reprise ou non du travail ne se tiendra pas. « Depuis la semaine dernière, l’intersyndicale négociait avec la direction pour faire entrer des camions avec des barrages filtrants, explique Romain Denecheau, conducteur de ligne de cuisson et représentant syndical CFDT. On était à deux doigts de réussir mais ils ont fait intervenir les pompiers vendredi dernier pour un feu de pneus. Et aujourd’hui, ils veulent passer en force. Voilà leur conception du dialogue social. »
L’attente de licenciements décents
1. Avoir l’esprit d’entreprise.
Depuis l’annonce par le groupe de la fermeture de deux nouveaux sites (Cholet et Vannes), c’est l’incompréhension et la colère qui dominent. Sur le muret blanc qui borde l’entrée de l’usine, des tags et messages laissés par les salariés l’expriment très clairement : « Trimer tant d’années pour se faire jeter », « Vous nous devez plus que des discours et la charité »… De fait, tous gardent en mémoire l’annonce en grande pompe par le numéro un mondial du pneu d’un salaire décent pour ses 132 000 salariés au printemps 2024. « Notre patron s’est gargarisé pendant des semaines sur les plateaux télé avec son salaire décent. Maintenant, on lui demande un licenciement décent », affirment plusieurs salariés rencontrés derrière les grilles de l’usine. « Pendant huit ans, j’ai été très corporate1 avec cette boîte dans laquelle je suis entrée par choix, par conviction même. Aujourd’hui, je me sens trahi par cette entreprise que je ne reconnais plus », renchérit Romain Denecheau.
Comme lui, beaucoup de salariés pensaient finir leur carrière dans ce qu’ils appellent affectueusement leur maison. Mais le groupe en a décidé autrement. Pour justifier ces deux fermetures, la direction invoque une compétitivité dégradée de ses usines françaises et la concurrence asiatique. En réalité, le groupe n’est pas au bord du gouffre, bien au contraire : il a dégagé un bénéfice net d’environ deux milliards d’euros en 2023, dont la moitié a été redistribuée aux actionnaires. « C’est à croire qu’ils ne sont jamais rassasiés », lâche une salariée croisée sous les tentes installées devant les grilles. « Leurs marges sont confortables, confirme Laure Lamoureux, de la Fédération Chimie-Énergie. Très sincèrement, on ne pensait pas qu’ils iraient jusqu’à la fermeture du site pour les préserver, ces marges. »
Des élus en première ligne
Sur place, les élus se retrouvent en première ligne afin de négocier, dans l’urgence mais aussi sous la pression des salariés, très divisés quant à la stratégie à adopter. « Cette semaine doit avoir lieu la première réunion de l’accord de méthode, et une partie des salariés veut négocier. Il faut donc trouver une solution, et que la direction apporte des réponses. À Vannes, tout se passe bien ; ici, à Cholet, tout est compliqué. La direction joue la carte du pourrissement », affirme Ludovic Robert, le délégué syndical CFDT du site, qui voit un lien entre l’annonce de la fermeture et la fin de l’activité partielle. « À Cholet, l’employeur a épuisé ses possibilités de recourir au chômage technique [le site a connu huit semaines de chômage partiel en 2024]. Nous alertions depuis plusieurs mois sur une nette baisse de l’activité, mais tant que c’était payé par l’État, ils ne se sont pas posé la question. »
2. Comité social et économique central.
Les traits tirés par la fatigue et la tension, les élus entamaient, ce lundi 25 novembre, une nouvelle semaine difficile lors de laquelle il va falloir calmer les esprits tout en négociant la meilleure sortie possible pour les 955 salariés du site. Évidemment, la CFDT reste sur le qui-vive. « Dès le lendemain du CSEC2, le 6 novembre, les rencontres des salariés avec le cabinet de reclassement étaient programmées, et ils recevaient des propositions d’accompagnement en dehors de tout accord et alors que les négociations concernant les PSE n’ont pas encore commencé », s’agace Ludovic. Ce « manque de respect » traduit selon lui une vision du dialogue social teintée de mépris.
Les responsables CFDT de l’interpro s’inquiètent également. « Certes, le bassin d’emploi choletais est plutôt dynamique, et l’on pourrait se dire qu’il y a des possibilités de reclassement mais ce ne sont ni les mêmes emplois, ni les mêmes compétences, ni les mêmes salaires », analyse Nicolas Ballanger, chargé du dossier emploi à l'URI Pays de la Loire. Il appelle à « ne pas oublier aussi tous les sous-traitants » qui travaillent pour Michelin dans la région. « Michelin a une responsabilité et un rôle à jouer pour eux aussi. »