Temps de lecture 7 min
Extrait de l’hebdo n°3904
Depuis la mi-octobre 2023, l’intersyndicale du centre Pompidou, à Paris, poursuit un mouvement de grève, inquiète des conséquences de la fermeture pour travaux, prévus de 2025 à 2030. La CFDT, en première ligne, veut défendre la garantie d’emploi des personnels mais aussi l’identité de cet établissement emblématique de la culture française.
La CFDT suspend la grève
Après trois mois de grève – la plus longue qu’ait connue le Centre Pompidou –, un accord a été trouvé le 29 janvier dernier entre la direction et deux organisations syndicales, dont la CFDT. Ayant obtenu des gages sur les deux points clés que sont la garantie de l’emploi et la non-externalisation des missions, la CFDT a décidé de suspendre la grève. Bien entendu, elle restera vigilante quant à l’application dudit accord.
C’est peu dire qu’ils sont déterminés à ne rien lâcher. Ils ? Les militants CFDT, qui, solidaires des autres représentants syndicaux du Centre Pompidou (Unsa, FO et CGT), mènent un mouvement de grève depuis la mi-octobre, reconduit de mois en mois faute d’avancées. En cause ? Le projet de fermeture pour rénovation de cet établissement culturel iconique, qui figure parmi les trois plus grands musées d’art moderne et contemporain au monde, aux côtés du Moma de New York et de la Tate Britain de Londres. Il est riche d’un fond de 140 000 œuvres et accueille chaque année plus de trois millions de visiteurs.
Immense flou autour d’un énorme chantier
Les travaux, pharaoniques, estimés à 260 millions d’euros, vont nécessiter cinq années de fermeture au public, entre 2025 et 2030. Pour les quelque 1 000 agents, l’inquiétude se mêle à la colère de voir se rapprocher la date fatidique du début du déménagement (prévu dès l’automne prochain) alors qu’ils estiment qu’un grand flou existe autour des modalités de cet énorme chantier. « On a une très désagréable impression d’amateurisme. Rien ne semble anticipé, organisé et cohérent », dénonce Anne Thomas, la secrétaire adjointe de la section CFDT.
Cette impression date d’ailleurs des toutes premières annonces, en 2020. « Au départ, on nous avait annoncé une fermeture de trois ans, pour procéder à des travaux techniques de sécurité : désamiantage, rénovation des baies vitrées qui sont de véritables passoires thermiques, révision totale de la climatisation, etc. Puis il a été décidé de profiter de ce chantier pour revoir le projet culturel du Centre, d’où les deux années supplémentaires de fermeture », rappelle Alexis Fritche, secrétaire général de la CFDT-Culture.
Il faut dire que depuis son ouverture, en 1977, le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou (communément appelé Beaubourg) a pris quelques rides, pour ne pas dire un gros coup de vieux. Si l’idée de redynamiser son projet culturel n’est donc pas aberrante, et que des travaux s’avèrent indispensables, ce sont les conditions de leur réalisation que conteste la CFDT.
Pas encore de garantie de retrouver son emploi
Depuis des mois, et malgré les demandes répétées des représentants syndicaux, les agents n’obtiennent pas de réponses à toutes leurs questions : quel calendrier de déménagement ? Quelles modalités ? Où vont aller les quelque 500 personnes directement impactées par la fermeture (sécurité, information, billetterie, accueil ou surveillance) ? Quelles garanties de retrouver son emploi à la réouverture ? Après le premier préavis de grève d’octobre 2023, les représentants syndicaux ont tout de même obtenu d’être reçus par la direction et des représentants du cabinet de l’ex-ministre de la Culture (Rima Abdul Malak), à qui ils ont soumis une liste de 18 revendications. Les syndicalistes ont obtenu satisfaction sur quelques points. « Nous avons obtenu le maintien des statuts des personnels et des régimes indemnitaires, l’assurance qu’il n’y aurait pas de licenciements pendant la période de fermeture et que serait créé un dispositif de maintien des rémunérations, sachant que certains agents perçoivent des rémunérations variables. En fonction de l’organisation de certains événements ou soirées, ils reçoivent des primes », explique Alexis.
Néanmoins, plusieurs points de blocage tenaces subsistent en ce qui concerne l’emploi ; par exemple le plafond d’emplois (les organisations syndicales souhaitent le même volume d’emplois à la réouverture, sachant qu’un quart des agents doivent partir à la retraite d’ici à 2030) ou la non-externalisation des services et des missions, réclamée par les représentants syndicaux. La direction dit ne pas vouloir s’engager, prétendant qu’« il est trop tôt pour figer l’organisation de l’établissement à sa réouverture, prévue dans sept ans, alors que les projets du Centre Pompidou sont en plein développement et en extension », avait souligné Mme Abdul Malak dans un courrier datant de la fin novembre 2023 en réponse aux organisations syndicales.
De grandes interrogations subsistent au sujet du programme Constellation imaginé par la direction – en l’occurrence un programme d’expositions et d’événements qui devraient être présentés dans d’autres sites (le Grand Palais, par exemple) avec lesquels Beaubourg a signé des partenariats, et qui permettrait de maintenir une activité et une visibilité des œuvres pendant les cinq années de fermeture. Ce programme, encore très mystérieux, suscite beaucoup de réserve de la part de l’équipe CFDT. « On ne sait pas du tout en quoi cela va consister. Constellation ? Je dirais plutôt “Trou noir” ! tacle Frédéric Mazzella, secrétaire de la section CFDT. De toute façon, tout se fait sans aucune concertation ni consultation des équipes et des agents. »
“Comme les membres d’une famille”
Les militants CFDT craignent de voir disparaître ce qui fait la spécificité de Beaubourg, « un collectif unique qui nous fait nous sentir comme les membres d’une famille », note Anne Thomas, qui, outre ses mandats, travaille en tant que responsable opérationnelle (c’est-à-dire avec des dizaines de corps de métier en amont des expositions). Il faut préciser que Beaubourg dispose – dans le cadre de ses créations, expositions ou tous les événements qu’il conçoit et organise – de très nombreux corps de métier en interne, des architectes aux jardiniers, des peintres à toute la panoplie des métiers de l’audiovisuel et du cinéma… « À la création du Centre, nous avons été le premier établissement à embaucher des artistes pour l’accueil et la surveillance, de manière à leur assurer un revenu stable », se souvient Lydia Bouzard Serio, 61 ans, élue au conseil social d’administration (CSA).
Chacun témoigne de l’importance de cette « communauté de travail, qui risque d’être mise à mal avec la dispersion des équipes sur différents sites pendant les cinq années de fermeture ». C’est aussi le lien avec le public qui risque de pâtir de cette rupture. « Cinq ans, c’est très long. Et il ne faut pas oublier la concurrence très vive de certains établissements culturels comme la Fondation Louis Vuitton ou la Bourse de commerce - Pinault Collection… », souligne Anne, qui s’inquiète : « Le musée Picasso, qui a fermé aussi pendant plus de quatre ans, n’a pas retrouvé sa fréquentation antérieure. » Attachés à leur institution, les militants ne sont pas seulement inquiets de leur sort mais bien de l’avenir de leur cher Beaubourg et de l’accès à ses collections. Ils espèrent que la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, va rapidement reprendre le fil des négociations.