Automobile : la France hors circuit ?

iconeExtrait du magazine n°507

MA France, Valeo, Walor, Dumarey Powerglide… les menaces sur l’emploi s’accumulent chez les équipementiers et sous-traitants de l’automobile. Plusieurs sont sous la menace d’une liquidation judiciaire. Une situation qui interroge d’autant plus que l’année 2023 a connu une forte progression des ventes de véhicules neufs.

Par Sabine Izard— Publié le 01/11/2024 à 10h05

La ligne de montage de Peugeot, filiale du groupe automobile Stellantis. Usine mère de Sochaux (Doubs), 13 septembre 2023.
La ligne de montage de Peugeot, filiale du groupe automobile Stellantis. Usine mère de Sochaux (Doubs), 13 septembre 2023.© Signatures

Les nuages s’amoncellent au-dessus de l’industrie automobile française. Après un rebond des ventes de véhicules en 2023, tous les signaux sont désormais au rouge.

En septembre 2024, le marché français des voitures particulières neuves a baissé de 11,07 % par rapport à septembre 2023. Conséquence, les mauvaises nouvelles arrivent en cascade. Sous-traitant du géant automobile Stellantis en Seine-Saint-Denis, MA France (280 emplois) est en liquidation judiciaire. Valeo met en vente trois usines, faisant peser un risque sur 1000 emplois. Deux sites du groupe Walor, dans les Ardennes, sont menacés de fermeture ; 212 salariés risquent de perdre leur emploi. Dumarey Powerglide vient d’annoncer la suppression de 248 emplois dans son usine de Strasbourg, après avoir perdu un contrat de sous-traitance avec l’industriel allemand ZF.
« Nous constatons une dégradation inquiétante de l’activité industrielle liée à l’automobile, alerte Stéphane Destugues, secrétaire général de la CFDT Métallurgie. Le gouvernement ne prend pas la mesure de la catastrophe qui s’annonce. Au rythme où ça va, aura-t-on encore une filière en France ? »

Destructions d’emplois

Responsable du pôle automobile chez Syndex, cabinet d’experts au service des élus du personnel, Coralie Lung constate un manque d’anticipation des entreprises : « On sait depuis 2014 qu’il va falloir réduire nos émissions de CO2 à l’horizon 2035. Or la fabrication du groupe motopropulseur électrique emploie 39 % de salariés en moins que le diesel. On aurait pu envisager des reconversions professionnelles, aller chercher de nouveaux marchés. Les fonds publics accordés à la filière auraient dû permettre de passer le cap de cette transition. »

Si Renault (leader sur le marché des voitures neuves) a choisi de réindustrialiser en France la partie électrique de sa production, beaucoup de sous-traitants et d’équipementiers ont, eux, utilisé les fonds publics pour moderniser leurs usines afin de maintenir l’activité plutôt que de reconvertir leur outil industriel.

« Je ne chargerai pas l’électrique de tous les maux, analyse, de son côté, l’économiste Bernard Jullien. Il manque des volumes qu’on a perdus pendant la crise. Deux millions de véhicules. »

Selon cet expert, les tensions actuelles s’expliquent en partie par une stratégie contestable des constructeurs occidentaux. Alors que les Chinois attaquaient massivement le marché de l’électrique en produisant des modèles abordables pour le grand public, les Européens ont ciblé le haut de gamme. « Sur ce segment, les marges sont plus élevées, mais les volumes de vente sont faibles car les voitures sont plus chères, explique-t-il. En outre, pendant la crise Covid, la collectivité a pris en charge le chômage partiel des salariés qui ne faisaient rien, ce qui a permis aux constructeurs de ne pas être obligés de produire des véhicules. Ils se sont alors retrouvés dans une situation sous-capacitaire : le nombre de véhicules produits était inférieur à la demande, et ils en ont profité pour vendre leurs voitures plus cher et refuser des rabais. C’est une situation très exceptionnelle dans une industrie qui a, d’habitude, du mal à trouver des clients pour ses produits. Il en résulte des marges très élevées par rapport à celles pratiquées habituellement. Aujourd’hui, c’est le retour à la normale. Il y a des voitures à vendre mais pas assez de clients pour les acheter. Il faut consentir des rabais, et les profitabilités des constructeurs en pâtissent. »

À cette conjoncture s’ajoute la délocalisation vers les pays qui emploient de la main-d’œuvre à bas coût, cela depuis plus de vingt ans. Le nombre de véhicules assemblés dans l’Hexagone est ainsi passé de 3,5 millions au début des années 2000 à 1,4 million en 2022, selon le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), entraînant dans son sillon la destruction de milliers d’emplois.

Si on changeait de modèle…

À propos de l'auteur

Sabine Izard
Rédactrice

Mais le secteur automobile tricolore n’est pas encore hors circuit. Un rapport publié en mai 2024, auquel a contribué la CFDT, montre qu’il est possible de produire en France des véhicules électriques de petite taille, des voitures citadines, dans de bonnes conditions de compétitivité. En décomposant les coûts de production. L’étude montre ainsi que l’écart de compétitivité avec l’Europe de l’Est sera très faible et ne justifiera plus les coûts d’une délocalisation. Elle démontre aussi qu’une fiscalité environnementale bien pensée peut largement compenser le différentiel de compétitivité avec la Chine.

Un pari qu’entend bien relever la marque au losange avec sa citadine 100 % électrique. « La direction confirme qu’il n’y aura pas de restructuration du personnel en 2024 malgré la baisse du marché, explique Fabrice Roze, délégué syndical groupe chez Renault. Mais si le marché ne reprend pas en 2025, il y aura certainement un impact social… », tempère-t-il.

La CFDT se mobilise dans les territoires

Pour aider les équipes syndicales à affronter la mutation de la filière automobile, la CFDT se mobilise aussi dans les territoires. En Bourgogne-Franche-Comté, un pôle auto a été mis en place. Il réunit les syndicats de toute la filière automobile franc-comtoise. « On réfléchit avec les sections syndicales aux mutations à venir et à l’employabilité de tous les salariés. On essaye de les aider à utiliser les leviers à leur disposition, internes comme externes à l’entreprise. Beaucoup n’ont pas du tout anticipé le problème », explique Laure Nicolaï, la secrétaire générale de l’URI (union régionale interprofessionnelle) CFDT.

« Dans le Grand Est, la CFDT vient de conclure avec d’autres partenaires sociaux, l’État et la région un accord de soutien aux sous-traitants », explique Dominique Toussaint, secrétaire général de l’URI Grand Est. « Nous savions que le passage à l’électrique aurait un impact social. Beaucoup d’entreprises ne l’ont pas du tout anticipé. » L’accord permettra dès 2025 de proposer un accompagnement aux sous-traitants de deuxième rang afin de les aider à se diversifier, ainsi qu’un accompagnement RH pour les salariés. « On arrive à temps, mais il ne faut pas traîner ! »