Au Tour des femmes

iconeExtrait du magazine n°505

Alors que la troisième édition du Tour de France Femmes se déroulera cet été, du 12 au 18 août, Marion Rousse, la directrice de l’épreuve, se félicite du succès populaire rencontré par la course. Pour l’ancienne championne de France de cyclisme, qui a fait de la lutte contre les préjugés une priorité, pas question de s’arrêter en si bon chemin.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 12/07/2024 à 12h00

Marion Rousse
Marion Rousse©ACPoujoulat

Vous êtes à la tête du Tour de France Femmes depuis trois ans. Quel bilan en tirez-vous ?

Il n’y a que du positif. Je suis vraiment très satisfaite. Le public nous a adoptées. Nous bénéficions d’une plus grande exposition médiatique. Les audiences à la télévision sont excellentes. Les performances des sportives sont davantage observées. 

En 2023, nous avons été suivies quotidiennement par plus de 2 millions de téléspectateurs en moyenne, cela représente près de 25 % de part d’audience. Comme notre « grand frère » le Tour de France masculin [Amaury Sport Organisation est l’organisateur des deux événements], nous faisons partie des vacances des Français.
C’est une superbe victoire. Nous avons parcouru un énorme chemin ces dernières années. Nous partions de très loin.

Le Tour de France féminin en 1955, puis de 1984 et 1989 ; la Grande Boucle féminine internationale de 1992 à 2009 ; la Route de France féminine, disputée de 2016 à 2018 : les tentatives de faire du cyclisme féminin un incontournable de l’agenda sportif n’ont pas manqué, ces dernières décennies.

“Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus fortes qu’il y a quelques années. Il reste beaucoup à faire, mais je suis confiante.”

Force est de constater que les différents formats n’ont pas fonctionné. Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus fortes qu’il y a quelques années. Il reste beaucoup à faire, mais je suis confiante.

L’opportunité d’être vues par des millions de téléspectateurs dans le monde incite aussi les sponsors à investir dans notre sport. L’instauration d’un salaire minimum ou de la mise en place d’un congé maternité en 2020 par l’Union cycliste internationale (UCI) World Tour vont aussi dans le bon sens et permettent aux filles de faire carrière.

De plus en plus d’équipes professionnelles ont désormais leur section féminine. Le cyclisme féminin est en pleine évolution, il progresse. Mon objectif est clair : que le cyclisme féminin et le Tour de France Femmes s’installent dans la durée.

Je rêverais de fêter les 100 ans du Tour de France Femmes. Je ferai tout pour.

Vous avez arrêté votre carrière en 2015, à l’âge de 24 ans, parce qu’il était difficile pour une cycliste de vivre de son métier.

Pendant très longtemps, nous avons couru dans l’anonymat le plus complet. Des courses féminines, il y en avait mais elles passaient sous les radars. Le Tour, c’est une caisse de résonance incroyable pour le cyclisme féminin. Quand j’étais professionnelle, je n’avais de professionnel que le statut. J’allais travailler le matin et, l’après-midi, j’allais m’entraîner.

Il n’y a rien qui me distinguait d’un amateur. À l’époque, seules cinq ou six filles étaient rémunérées et pouvaient vivre de leur métier. C’était d’ailleurs souvent les mêmes qui remportaient toutes les compétitions.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui. En 2022, sur les huit étapes du Tour de France Femmes, sept coureuses différentes se sont imposées.

“Le Tour rassemble, le Tour est populaire, le Tour est gratuit. Il fait partie intégrante de l’histoire de notre pays.”

Enfant, votre intérêt pour la discipline, qui faisait pourtant partie de votre quotidien [avec trois cousins coureurs professionnels], n’a pas tout de suite été encouragé…

Mon père s’y est d’abord opposé. À 6 ans, quand j’ai dit que je voulais intégrer un club et faire de la compétition, j’ai dû aller m’inscrire en cachette, avec ma mère. Quand je dis qu’on partait de loin, c’est du vécu. Mon père a pourtant fait du vélo pendant vingt-cinq ans, mais il disait que ce n’était pas un sport pour moi. Il trouvait que j’étais trop jeune, que je ne devais pas m’afficher sur un vélo. Surtout, il estimait que c’était un sport déjà bien assez difficile à pratiquer pour les garçons, alors pour une fille comme moi…

Il a quand même rapidement changé d’avis. Il est devenu mon entraîneur et m’a suivie sur toutes les courses. Il fallait que les mentalités évoluent. Elles ont évolué, heureusement, et tant mieux. Et on continue à aller dans la bonne direction.

Hier, les petites filles qui voulaient faire du vélo ne pouvaient pas s’identifier à des coureuses et à de grandes championnes, elles n’avaient que des garçons pour modèle. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Maintenant, nous créons des vocations. Lorsque les jeunes filles viennent sur le Tour de France Femmes ou qu’elles regardent l’épreuve à la télé, elles peuvent se dire : « Moi aussi je veux et je peux faire ça plus tard. » Une femme sur un vélo, ce n’est plus quelque chose d’étrange.

Marion Rousse devient championne de France de cyclisme en juin 2012 à Saint-Amand-les-Eaux (Hauts-de-France).
Marion Rousse devient championne de France de cyclisme en juin 2012 à Saint-Amand-les-Eaux (Hauts-de-France).© AFP

Vous vous êtes aussi imposée sur le Tour de France masculin en devenant l’une des voix de l’été. On vous retrouvera pour la septième année d’affilée sur les antennes de France Télévisions, aux côtés de Laurent Jalabert et d’Alexandre Pasteur.

C’est une fierté pour moi. Parce que j’aime profondément le cyclisme… et le Tour de France, bien sûr. Mais aussi pour ce que le Tour représente et parce qu’il est attendu par les Français et dans le monde entier. Le Tour rassemble, le Tour est populaire, le Tour est gratuit.

Il fait partie intégrante de l’histoire de notre pays. Ce ne sont pas que des formules. Il permet à celles et ceux qui n’en ont pas toujours les moyens de voyager, de découvrir leur pays, d’en apprendre plus sur son histoire et ses terroirs. La caravane publicitaire et les babioles distribuées donnent des étoiles dans les yeux des gamins.

C’est un évènement qui se déplace chez les gens et réunit tout le monde. Peu importe que l’on aime ou pas le vélo, on vient voir le Tour pour passer un bon moment en famille. On pose ses vacances en fonction du parcours.

De France, d’Europe ou d’ailleurs, on vient de loin pour le voir et pour le suivre dans son camping-car pendant une, deux ou trois semaines. C’est exceptionnel. Il n’y a que le Tour qui procure cette émotion. Les sportifs sont aussi très accessibles. Tu peux aller leur demander un autographe, leur parler, te faire photographier avec…
Il y a très peu de sports qui offrent une telle proximité avec les champions. Nous sommes dans une période parfois compliquée, un peu difficile à vivre pour nos concitoyens ; c’est un moment hors du temps pour de nombreuses personnes.

Vous êtes aussi une pionnière. Toutes disciplines sportives confondues, rares sont les commentatrices.

Au départ (sur la chaîne Eurosport), j’étais invitée en qualité de « championne », et ils se sont vite rendu compte que je maîtrisais très bien mon sujet. Mais même si je connais le « métier », il a fallu que je démontre qu’une fille était capable de parler de cyclisme comme un garçon.

Que voudriez-vous dire à celles et ceux qui ne connaissent pas encore le Tour de France Femmes ?

À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

Sur un vélo, hommes et femmes sont à égalité : une chute est douloureuse pour tout le monde. Si vous aimez le Tour de France, vous allez adorer le Tour de France Femmes. Vous y retrouverez les mêmes ingrédients : du dépassement de soi, des paysages grandioses et du suspens. Cette année, nous partirons de Rotterdam (Pays-Bas), une terre de vélo par excellence, où le cyclisme en général et le cyclisme féminin en particulier sont très développés. Ce sera une fête fantastique.