Au Louvre, les agents soumis à de rudes conditions de travail

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iconeExtrait de l’hebdo n°3911

Le Louvre, avec ses 8,7 millions de visiteurs en 2023, est le musée le plus visité au monde. Pour ses 2 000 agents et ses centaines de prestataires, l’envers du décor s’avère nettement moins fastueux que l’endroit. Reportage dans les coulisses, aux côtés d’une section CFDT qui a placé les conditions de travail au cœur de son action syndicale.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 12/03/2024 à 13h00

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© Syndheb

Il est presque 9 h 30 sous la pyramide du Louvre. Une file bigarrée de touristes s’étire en attendant de passer les portiques de contrôle – femmes voilées, en saris, en décolleté, hommes de toutes les couleurs et nationalités, enfants, groupes scolaires… La file d’attente se fera plus longue et le brouhaha plus dense au fur et à mesure que la matinée avancera. Pour les agents, le contrôle à l’entrée est l’un des postes les plus difficiles du musée. « Le travail sous la pyramide, c’est infernal ! », confie Nadia Amine, 47 ans, à l’origine de la création de la section CFDT, en 2012.

Rappelons que le Louvre est le musée le plus visité au monde : en 2023, plus de 8,7 millions de visiteurs s’y sont rendus (+ 14 % par rapport à 2022), dont 68 % de visiteurs étrangers. L’instauration d’une jauge en 2023, afin de limiter la fréquentation à 30 000 visiteurs par jour, n’a pas vraiment amélioré le travail des agents. De fait, quel que soit leur service, ils déplorent tous des manques en matière d’effectifs. Dans l’aile Denon, la plus prisée du public à cause de la présence de La Joconde, véritable star du musée, « nous étions 120 agents de caisse et contrôle il y a quelques années ; les effectifs sont tombés à moins de 50 personnes aujourd’hui », souligne Sabine, 58 ans dont trente et une années de carrière au Louvre et adhérente CFDT. Aux quatre postes de contrôle d’accès situés sous la pyramide, « on devrait être huit agents par poste. On n’est que deux ou trois. Ça n’est pas tenable », ajoute Fatima Chatar, 55 ans, elle aussi adhérente CFDT.

Des agents confrontés à l’agressivité des visiteurs

Les flux incessants, le brouhaha permanent, la température qui monte vite sous la pyramide et devient insupportable en été… Les agents de contrôle racontent un quotidien épuisant, que les tensions avec les visiteurs rendent encore plus stressant. « Quand ils arrivent à notre poste, ils sont déjà énervés d’avoir attendu parfois une ou deux heures. On doit vérifier leurs billets et les justificatifs de gratuité. Pour peu que ceux-ci ne soient pas valables, il faut les renvoyer à la billetterie. Et là, ils peuvent très vite monter dans les tours. On se prend leur agressivité en direct. »

Insultes, remarques sexistes ou racistes, « on en subit tous les jours », précise Benoît, un autre membre de l’équipe. La perspective des Jeux olympiques de Paris 2024, en juillet prochain, avec le passage de la flamme au sein même du musée et l’afflux supplémentaire de touristes, n’est pas de nature à les rassurer. « On ne sait pas dans quelles conditions on va travailler », s’inquiète Sabine, qui juge la période « à haut risque ». « Nous avons demandé une réunion spéciale du comité social d’administration [CSA] sur la préparation des Jeux », explique Valérie Baud, secrétaire de la section CFDT et représentante hygiène et sécurité au comité social d’administration-formation spécialisée ainsi qu’au conseil d’administration.

Valérie Baud est secrétaire de la section CFDT du Louvre.
Valérie Baud est secrétaire de la section CFDT du Louvre.© Syndheb

Depuis qu’elle a repris la section, en 2023, Valérie est extrêmement attentive aux conditions de travail des agents du Louvre. « Et ça concerne tout le monde, pas seulement une catégorie de personnel ! », souligne la militante. La section a en effet la particularité – et c’est évidemment une richesse – d’être composée de tous les profils, « de l’agent d’accueil au conservateur du patrimoine ».

Nouveaux créneaux d’ouverture… et problèmes en perspective

À l’initiative des représentants du personnel, dont elle fait partie, une enquête sur les conditions de travail des agents d’accueil et de surveillance de l’aile Denon a été lancée, en lien avec le service de prévention et le service médical du Louvre (ce dernier compte deux médecins et deux psychologues attitrés). D’autres sujets sont également à l’agenda syndical, comme la négociation des conditions relatives à l’ouverture d’une seconde nocturne par semaine et la révision des cycles de travail des agents d’accueil. Derrière le guichet de l’accueil des groupes, Chantal et Anne, deux agentes, s’inquiètent des conséquences de ces nouvelles mesures. « Nous sommes déjà en sous-effectifs chroniques ; lors des prochaines vacances de printemps, nous n’aurons pas de personnel pour la nocturne du vendredi et les week-ends. Je ne sais pas comment on va faire si l’on décide d’ouvrir encore plus largement ».

Pendant ses tournées, Valérie veille à visiter tous les services, à inventorier tous les types de difficultés : de l’exiguïté des locaux administratifs au chauffage qui tombe en panne au cœur de l’hiver dans certains bureaux, sans oublier les problèmes de management toxique et les situations de harcèlement. Cela dit, sur ce point, un dispositif de signalement interne a été mis en place accompagné d’une campagne d’information vis-à-vis des agents. Car le Louvre est une sorte d’immense machine, « un gigantesque paquebot », estime un conservateur du patrimoine adhérent CFDT, du fait de sa taille (le musée s’étend sur 220 000 m2 dont 70 000 sont consacrés aux expositions) mais aussi de son organisation éminemment « pachydermique et complexe. Avec ses lourdeurs hiérarchiques et des organigrammes qui changent tout le temps, cette institution peut faire figure de broyeuse », pointe Valérie. D’où une vigilance accrue aux risques psychosociaux.

Veille CFDT sur les conditions de travail des prestataires

L’équipe CFDT n’oublie pas non plus la situation des centaines de prestataires comme le personnel de ménage (soit 140 personnes à temps plein) mais également tous les corps de métiers qui interviennent pour les travaux d’installation, de réfection, etc. Ce sujet tient particulièrement à cœur de Marie-Christine Carini, adjointe du chef de service maintenance et architecture (il gère l’ensemble de l’entretien du palais et des jardins). Cette militante, ingénieure des travaux publics et formée à la prestigieuse École du Louvre, est justement en contact avec toutes sortes de prestataires : maçons, parquetiers, électriciens, vitriers, jardiniers… Ces professionnels, qui ont leurs locaux et ateliers dans la VDI (voie de desserte intérieure), véritable petite ville sous le palais du Louvre, travaillent dans des conditions déplorables : manque de locaux, vétusté, etc. « Malheureusement, le problème des prestas, ça n’intéresse personne », déplore la militante.

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

Malgré les griefs et les problèmes rencontrés, la plupart des agents rencontrés témoignent de leur fierté de travailler au Louvre, cette ancienne demeure des rois de France et fer de lance du rayonnement culturel français. La passion pour l’art, le contact avec les œuvres et la magnificence du site permettent à nombre d’entre eux de mettre un peu de côté les difficultés et frustrations. « Chaque matin, quand je traverse la grande cour, je me dis “c’est magique !” et je sais pourquoi je suis là », indique Virginie Dietrichs-Laplaud, chargée de production et binôme de Valérie au CSA-FS et au conseil d’administration. Comme Valérie, qui, chaque mardi, alors que le musée est fermé au public, essaie de se réserver une heure afin d’aller contempler quelques œuvres. « C’est comme une méditation, ça me ressource. » D’ailleurs, à chaque nouvelle exposition, les agents sont invités, pendant leur temps de travail, à une visite accompagnée par le ou la commissaire de l’exposition.