“Allons enfants de la cantine !”

iconeExtrait du magazine n°506

Après un printemps difficile marqué par un nouveau redressement judiciaire, les salariés de l’usine Duralex, dans le Loiret, retrouvent le sourire. Ils sont désormais actionnaires majoritaires de leur entreprise. Charge à eux de préserver l’héritage et d’innover.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 27/09/2024 à 09h00

Vasco (à g.), secrétaire du CSE, 
et Suliman (à dr.), délégué syndical CFDT chez Duralex (Loiret, 2024).
Vasco (à g.), secrétaire du CSE, et Suliman (à dr.), délégué syndical CFDT chez Duralex (Loiret, 2024).© Emmanuelle Marchadour

Au pied de la grande cheminée qui surplombe l’usine, un vieux camion de pompiers floqué Duralex veille. Une manière de rappeler que depuis 1945, la verrerie n’a pas été épargnée par les coups de chaud, dans les ateliers comme sur le front de l’emploi. « Dans les années 1970, on comptait encore 2 000 salariés sur le site », explique Suliman El Moussaoui, délégué syndical CFDT chez Duralex. En ce matin de septembre, pourtant, le sourire se lit sur les visages des 228 salariés.

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© Emmanuelle Marchadour

Fin juillet, après un énième redressement judiciaire, le tribunal d’Orléans a validé leur projet de Scop (société coopérative de production). Face à deux autres offres de reprise, ils ont emporté le morceau. Avec ce scénario, tous les emplois sont sauvegardés. « Ça ne change rien à notre métier, on sait exactement ce que l’on a à faire et comment on doit le faire, explique Vasco Da Silva, conducteur de four. Mais ça change tout le reste car, maintenant, on a un vrai pouvoir de décision. »

“Reprendre une entreprise collectivement, ce n’est pas rien. On leur demande quand même d’investir, d’entrer dans le capital. Pour cela, il faut croire profondément en son outil de travail. ”

Suliman El Moussaoui, DS CFDT chez Duralex.

Ce projet de Scop a été porté par la CFDT, avec le soutien des élus locaux. «Rien n’était joué», admet pourtant Suliman. Les salariés, pour beaucoup, ne connaissent rien à l’univers de l’ESS (économie sociale et solidaire) et des Scop. Tous savaient en revanche que le modèle de l’actionnariat classique ne sauverait pas leur emploi.

Il n’empêche ! « Reprendre une entreprise collectivement, ce n’est pas rien, poursuit Suliman. On leur demande quand même d’investir, d’entrer dans le capital. Pour cela, il faut croire profondément en son outil de travail. » Après des heures de réunions passées à expliquer les notions techniques de capital social, d’actionnariat ou encore de résultats,le tout avec une volonté de pédagogie et d’intégration de l’ensemble du personnel, 138 salariés décident d’investir (à hauteur de 500 euros chacun) pour devenir sociétaires.

Management collectif

Franck, contrôleur qualité depuis quatorze ans chez Duralex, avoue avoir hésité un temps. Mais, aujourd’hui, il note déjà des changements dans les comportements des uns et des autres. « On a adopté une forme de management collectif, participatif. Surtout, les salariés sont devenus beaucoup plus alertes à leur outil de travail et à l’entretien de celui-ci », observe ce militant CFDT qui siège notamment à la CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail).

Comme lui, de nombreux salariés ont adhéré à l’esprit de la Scop, précisément parce que cela leur permet de s’impliquer dans leur entreprise et de contribuer à son fonctionnement. « On sait aussi que l’argent ne va pas partir à l’extérieur, qu’il restera dans l’entreprise », renchérit Dominique, cariste. 

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© Emmanuelle Marchadour

L’homme de 59 ans reste échaudé par les redressements judiciaires successifs. Il se souvient tout particulièrement du dernier propriétaire, la Maison française du verre, qui avait repris l’entreprise en 2020. « Ils n’ont fait aucun investissement et n’ont pas hésité, dès les premiers mois, à distribuer des dividendes aux actionnaires. Aujourd’hui, nous sommes nos propres actionnaires ! », poursuit-il fièrement. Il attend désormais la première assemblée générale, en octobre, où l’ensemble des salariés associés prendront leur avenir en main et valideront les grandes décisions stratégiques.

« Salariés patrons »

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Fort de leur nouveau statut de « salariés patrons », les Duralex repartent d’une page blanche, avec de nombreux défis à relever. Il faut dépoussiérer la marque, qui n’a pas innové depuis 1997, en lançant de nouvelles gammes de produits. Le 2 septembre dernier, une première collaboration avec Le Slip français a vu le jour. Baptisée « Allons enfants de la cantine ! », en référence à l’iconique verre Gigogne® qui équipe les cantines scolaires françaises, l’opération vise à sensibiliser les consommateurs aux vertus du Made in France. « On est prêts à travailler, à mettre les bouchées doubles s’il le faut pour retrouver des marchés et faire en sorte que l’aventure continue », confie Laure, dont le moral semble à l’image des verres de la marque : incassable.