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Extrait de l’hebdo n°3951
Très attendus, les indicateurs statistiques publiés ces derniers jours confirment un retournement du marché de l’emploi, laissant présager un effet domino pour l’ensemble de l’activité économique. Dans le climat d’instabilité politique actuelle, la CFDT est en alerte maximale et active tous les leviers possibles.
La bascule s’est opérée. Alors que, depuis septembre 2024, les annonces de sites industriels fragilisés et menacés par des réductions d’effectifs (Unilever, BASF, General Electric…), voire de fermetures (Michelin, Delpeyrat, Valeo, ArcelorMittal) laissaient augurer une séquence noire sur le front de l’emploi, la publication, il y a quelques jours, des chiffres du chômage par la Dares est venu confirmer toutes les alarmes lancées par les équipes CFDT sur le terrain.
Le bond du nombre de demandeurs d’emploi
Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à France Travail a ainsi bondi de 4 % au quatrième trimestre 2024 (+ 3,7 % sur un an), ce qui représente 113 800 chômeurs supplémentaires en trois mois, du jamais-vu depuis une décennie (hors période Covid). Les jeunes sont les premiers impactés par cette hausse du chômage (+ 8,5 %), et la création de deux nouvelles catégories de demandeurs d’emploi visant les bénéficiaires du RSA et les jeunes suivis en mission locale (jusqu’alors non inscrits à France Travail) devrait faire grossir fortement le nombre de demandeurs d’emploi dans les prochains mois.
« La hausse du chômage, si brutale soit-elle, n’est qu’un indicateur parmi d’autres, résume Olivier Guivarch, secrétaire national responsable de la politique de l’emploi. Malheureusement, aujourd’hui, tout laisse à penser que l’on est face à un retournement du marché du travail, et que la tendance devrait se poursuivre, voire s’amplifier, en 2025. » Certes, l’emploi global s’est globalement maintenu pendant les premiers trimestres de 2024 – la parenthèse Jeux olympiques ayant sans doute caché les mauvais indicateurs qui se dessinaient depuis un moment. Mais la nature des recrutements, elle, a sensiblement évolué au cours de l’année 2024 : la baisse de l’intérim, amorcée dès la mi-2022, s’est fortement accentuée au cours des douze derniers mois, que ce soit dans l’industrie (– 8,1 %), la construction (– 6 %) ou le tertiaire. Quant aux embauches à proprement parler, elles ont également baissé, que ce soit en CDD ou en CDI.
250 000 salariés ont bénéficié d’une garantie de salaire
1. Accords de performance collective.
2. Gestion des emplois et des parcours professionnels.
3. Régime de garantie de salaires.
Un autre indicateur était surveillé de près depuis la mi-2024 : les restructurations d’entreprises. Les PSE, qui avaient diminué ces dernières années pour atteindre un niveau plancher en 2022 (300 PSE contre 952 en 2011), ont refait surface dès 2023. Fin septembre, la Dreets recensait 411 PSE et 66 ruptures conventionnelles collectives (RCC) validés par ses services ; un nombre qui est loin de couvrir toutes les restructurations d’entreprises – les APC1, accords GEPP2 ou licenciements économiques, par exemple, ne donnant pas lieu à l’obligation d’établir un PSE. À cela s’ajoutent les 65 000 défaillances d’entreprises (redressement judiciaire, liquidations) enregistrées en 2024 (+ 17 % par rapport à 2023) consécutives, pour une large part, à la fin des aides accordées aux entreprises pendant et après la période Covid. Une donnée chiffrée résume à elle seule les répercussions de ces défaillances en cascade : en 2024, 250 000 salariés ont bénéficié du soutien de l’AGS3, qui permet de garantir le paiement des sommes dues aux salariés (salaires, préavis, indemnités…) en cas de défaillance, soit 20 % de plus par rapport à 2023.
Ces restructurations, qu’elles soient médiatisées ou s’opèrent à bas bruit, n’ont épargné aucun secteur. Et si l’industrie paye sans doute le plus lourd tribut, la construction ou le commerce ne sont pas épargnés. En outre, la CFDT se dit particulièrement préoccupée par « les réductions budgétaires opérées dans le secteur public, avec la baisse des dotations des collectivités territoriales qui annoncent des suppressions de postes, et dont les conséquences se font déjà ressentir dans le secteur associatif, lequel ne peut renouveler ses contrats aidés, pointe Olivier Guivarch. Nombre d’associations craignent de disparaître ».
Réponses structurelles et conjoncturelles
Dans le contexte politique actuel, ce retournement du marché n’est pas sans risque, et il va bien falloir trouver des réponses structurelles et conjoncturelles pour les salariés concernés et les territoires impactés. Alors que le patronat craint que les choix budgétaires n’alourdissent le coût du travail et ne remettent en cause la politique de l’offre privilégiée ces dernières années, la CFDT appelle de son côté à des mesures ciblées qui protègent les salariés et soutiennent les secteurs en difficulté. « Le sujet des reconversions est crucial », explique Olivier Guivarch, qui attend de pouvoir relancer les discussions au plus vite et ainsi obtenir « une meilleure sécurisation et accessibilité des dispositifs ».
4. Activité partielle de longue durée.
Un dispositif est particulièrement attendu : l’APLD4 « rebond », qui pourrait permettre aux entreprises en difficulté ponctuelle de maintenir les salariés dans l’emploi en mettant davantage l’accent sur la formation professionnelle. Un amendement voté fin janvier par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances 2025 a permis de faire un pas dans cette direction. « Il s’agit d’assurer la continuité professionnelle et salariale des travailleurs concernés et [d’offrir aux entreprises la possibilité de] garder leurs talents, assurait alors la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet. Ce n’est pas sans contrepartie : l’obligation de formation des salariés permet de s’assurer que l’investissement de l’État dans l’aide aux entreprises permet aussi de préparer demain, avec une montée en gamme et une meilleure compétitivité de nos entreprises. » Car c’est bien là tout l’enjeu selon la CFDT, qui se dit favorable sous conditions à cette version 2.0 de l’APLD : « Le dispositif doit faire l’objet d’un dialogue social, comporter des engagements de l’employeur concernant la formation des salariés. Nous demandons également un contrôle effectif de l’État et l’obligation de remboursement en cas d’abus de la part de l’entreprise. »
Trop d’instabilité politique
De la même manière, la CFDT réfléchit actuellement aux voies d'amélioration possibles de la loi Florange, qui oblige les entreprises de plus de mille salariés à chercher un repreneur avant de fermer un site. « Quatre mois de délai, ce n’est pas suffisant, explique Éric Mignon, secrétaire confédéral du service Emploi et sécurisation des parcours professionnels. Il y a bien quelques cas où la recherche d’un repreneur arrive avant le PSE mais quand cela arrive en même temps, et c’est le cas à 90 %, les salariés n’y croient plus. Cela doit être enclenché plus en amont et courir sur une période plus longue. »
Tous ces points, la CFDT entend bien les poser lors de la concertation emploi qu’elle appelle de ses vœux. Mais qu’en sera-t-il en cas de nouvelle censure du gouvernement ? « Il est très difficile d’évaluer ce que pèse réellement l’instabilité politique mais le climat actuel n’est bon pour personne », résume le secrétaire national. Au lendemain de la censure du gouvernement Barnier, leaders syndicaux et patronaux alertaient ensemble les élus et responsables politiques sur « l’instabilité dans laquelle a basculé notre pays [et qui] fait peser sur nous le risque d’une crise économique aux conséquences sociales dramatiques ». Moins de deux mois plus tard, la crise économique est belle est bien amorcée, et la menace d’un énième retour à la case départ n’a jamais été aussi grande.