Actionnariat salarié : une promesse démocratique ?

iconeExtrait du magazine n°499

Posséder des parts de son entreprise peut être un moyen supplémentaire de se faire entendre. Encore faut-il que les directions jouent le jeu en permettant à tous les salariés d’acquérir des actions. En France, c’est encore loin d’être le cas.

Par Fabrice Dedieu— Publié le 02/01/2024 à 07h07

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© Pascal Sittler - REA

La France est la championne d’Europe de l’actionnariat salarié. Selon la Fédération européenne de l’actionnariat salarié, sur les 6,8 millions d’actionnaires salariés que compte le continent, 2,8 millions sont français. Ceux-ci travaillent surtout dans de grandes entreprises. Car ce sont ces dernières qui proposent principalement à leurs salariés d’investir dans leur capital : 17,2 % des entreprises de 1 000 salariés et plus ont proposé en 2020 une opération d’actionnariat salarié – contre 0,8 % des entreprises de 10 à 49 salariés, selon le ministère du Travail.

Malgré ces « bons » chiffres globaux, le poids des salariés dans les capitaux des entreprises varie énormément dans notre pays. Ainsi, parmi les entreprises du CAC 40, les salariés de Bouygues détiennent 21,30 % du capital, ceux de Vinci près de 10 %… mais les salariés de LVMH ne détiennent que 0,1 % du groupe de luxe. En moyenne, 3,6 % du capital sont détenus par les salariés des entreprises du CAC 40. Un taux en progression, note la Fédération française des associations des actionnaires salariés et anciens salariés. Et un chiffre encourageant car, à partir de 3 %, un représentant des actionnaires salariés doit être nommé pour siéger au conseil d’administration.

Un système plus favorable aux cadres sup’

Pour autant, le modèle français d’actionnariat salarié, que les pouvoirs publics encouragent, reste éloigné de ce que l’on peut observer aux États-Unis notamment. C’est le constat que fait Nicolas Aubert, professeur de finances à l’Université d’Aix-Marseille et spécialiste du sujet : « Aux États-Unis, le modèle dominant d’actionnariat salarié [Employee Stock Ownership Plan] concerne surtout les petites entreprises, avec au moins 30 % du capital dans les mains des salariés. En France, ce sont les grandes entreprises, et le pourcentage détenu par les salariés est faible. Ils n’ont donc pas vraiment de poids », explique-t-il. Il poursuit : « Aux États-Unis, les salariés n’ont pas à payer pour les actions. En France, ils mettent la main à la poche, ce qui favorise ceux qui ont la plus grande capacité d’épargne, donc les cadres supérieurs. »

“Faire entrer les travailleurs au capital ne fait pas tout . Il faut qu’il y ait des convictions derrière.”

Nicolas Aubert,professeur de finances à l’Université d’Aix-Marseille.

Si Nicolas Aubert partage l’analyse selon laquelle l’actionnariat salarié permet à l’entreprise d’être plus performante, d’avoir une main-d’œuvre plus stable, il pointe aussi les risques pour l’épargne des salariés. Et puis, faire entrer les travailleurs au capital ne fait pas tout: «Cela doit inclure d’autres pratiques RH, de la formation, il faut impliquer les salariés. Si c’est juste pour de l’optimisation fiscale, ce n’est pas la peine. Il faut qu’il y ait des convictions derrière. Et surtout, il faut que ça coûte le moins cher possible aux salariés, pour inclure le plus grand nombre.»

Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé à Carrefour. Le groupe a mené en début d’année 2023 une opération d’actionnariat salarié d’envergure pour la première fois. Vingt-quatre mille salariés, sur les cent mille que compte le groupe en France, ont souscrit au plan, selon la section CFDT ; soit 80 % des cadres contre 27 % des employés, et ce, malgré les abondements prévus. « Les petits salaires n’ont pas adhéré au dispositif », fait remarquer Bruno Moutry, de la CFDT-Carrefour, chargé de ces questions. « Dans notre branche, une majorité des salariés ont de faibles salaires. Ce que l’on souhaite, c’est la distribution d’actions gratuites pour toucher l’ensemble des salariés. Nous souhaitons un développement de l’actionnariat salarié, car plus on sera nombreux, plus on pourra peser sur les résolutions et décider de la politique de l’entreprise. »

Au 31 décembre 2022, les salariés ne détenaient que 0,95 % du capital de l’entreprise. Pas de quoi peser réellement. Pour pouvoir se faire entendre lors des assemblées générales, la section CFDT ne peut compter que sur son association d’actionnaires, créée en 2017 : « Une façon un peu détournée de peser sur les choses », selon Bruno.

Chez Orange, ils ont la fibre

Chez l’opérateur de télécoms Orange, en revanche, la culture de l’actionnariat salarié est bien implantée. Près de 8 % du capital du groupe est détenu par le personnel. « Cela nous donne du poids », souligne Nadia Zak Calvet, déléguée syndicale centrale adjointe. La CFDT s’est, par exemple, prononcée pour davantage de transparence dans la rémunération des dirigeants et sur la politique environnementale de l’entreprise lors de la dernière assemblée générale annuelle. Chez Orange, les actionnaires salariés sont aussi représentés au conseil d’administration, en plus des trois administrateurs représentant les salariés. « Nous continuons de militer pour renforcer l’actionnariat salarié et monter à 10 % du capital », insiste Nadia qui rappelle que l’actionnariat salarié est un enjeu syndical à part entière. 

Jackpot pour les salariés de La Redoute

À La Redoute, l’année 2022 s’est très bien terminée. À la suite du rachat de l’entreprise par les Galeries Lafayette et des bons résultats enregistrés durant le Covid, les salariés qui avaient placé leurs économies dans le capital de l’entreprise ont touché le jackpot. « Une personne qui avait investi 100euros a récupéré un peu plus de 90 000euros », explique Michel Vandeputte, délégué syndical CFDT.

Une belle conclusion pour une histoire qui avait mal commencé. En 2015, l’entreprise était en mauvaise posture. Grâce à un accord avec les partenaires sociaux, les salariés ont été invités à entrer dans le capital de la holding détenant la célèbre marque de vente à distance. « Un peu plus de 900salariés, sur 2 251, ont investi, soit 80 % de l’effectif à l’époque », se souvient Michel. « Nous n’avions pas donné de consigne particulière, chacun l’a fait en son âme et conscience. Nous espérions juste une chose: que ça fonctionne. LaRedoute a été sauvée, et un minimum d’emplois ont été préservés. »