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Accords internationaux : par-delà les frontières

iconeExtrait du magazine n°509

Quel est le point commun entre Carrefour, Engie, Solvay, PSA, Orange et BNP Paribas ? Toutes ces entreprises françaises font travailler des salariés dans le monde entier. Dès lors, comment garantir à tous les mêmes conditions de travail ?

Par Sabine Izard— Publié le 01/01/2025 à 10h11

"Les travailleurs du textile ont besoin d’usines sécurisées" - Des ouvrières et ouvriers du textile au Bangladesh manifestent onze ans après l'effondrement du Rana Plaza.
"Les travailleurs du textile ont besoin d’usines sécurisées" - Des ouvrières et ouvriers du textile au Bangladesh manifestent onze ans après l'effondrement du Rana Plaza.© Statement

Les entreprises multinationales, par leur influence et leur présence dans plusieurs pays, jouent un rôle crucial dans l’économie mondiale. Cependant, cette implantation internationale peut aussi donner lieu à des disparités en matière de conditions de travail, notamment entre les pays où la régulation du travail est plus ou moins stricte.

Face à cette situation, les syndicats mondiaux et les employeurs des multinationales ont cherché à établir des mécanismes de coopération en vue de garantir des normes minimales de travail au niveau global. Ces mécanismes se traduisent principalement par des accords-cadres internationaux. Mais de quoi s’agit-il exactement ?

Des droits universels

Un accord-cadre international, ou mondial, est un accord négocié et signé entre une fédération syndicale mondiale et une entreprise multinationale. Il vise à garantir des standards de travail uniformes au sein des différentes branches d’une multinationale. Cela inclut des droits fondamentaux comme le droit à la santé et à la sécurité, l’égalité des chances et la non-discrimination, la rémunération équitable ainsi que la lutte contre le travail des enfants et le travail forcé. Mais surtout la reconnaissance du droit des travailleurs à s’organiser, à former des syndicats et à négocier collectivement.

“Ces accords sont vitaux dans les environnements où les normes sont antisyndicales.”

Christy Hoffman, la secrétaire générale de la Fédération syndicale internationale UNI Global Union.

« Ces accords sont particulièrement importants là où la direction et les gouvernements locaux ignorent systématiquement ces droits, et sont vitaux dans les environnements où les normes sont antisyndicales. Par exemple, un accord mondial peut inclure une disposition qui donne aux syndicats locaux le droit d’accéder aux travailleurs sur le lieu de travail. Ils s’appliquent parfois à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de l’entreprise et peuvent alors inclure les sous-traitants, voire les franchisés, comme chez Carrefour en Afrique », explique ainsi Christy Hoffman, la secrétaire générale de la Fédération syndicale internationale UNI Global Union, qui rassemble des travailleurs de plus de 150 pays issus du secteur des services.

« C’est un outil fondamental, confirme Laure Lamoureux, de la Fédération Chimie-Énergie (FCE-CFDT), adhérente à UNI Global Union. Dans certains pays, les syndicats ne parviennent pas du tout à négocier en interne. L’accord mondial permet alors d’apporter un socle minimal
de droits mais surtout il organise une forme de solidarité entre les syndicats du monde entier. » En Inde, par exemple, poursuit-elle, « ça nous permet de pousser la direction à s’assurer que les salariés aient les mêmes conditions de travail qu’en France ! Quand on discute avec les syndicalistes étrangers, ils confirment que ces accords sont un atout pour eux.»

Un congé maternité ou paternité unique

Ce fut le cas pour le groupe Solvay, acteur majeur de la chimie, implanté notamment aux États-Unis. « En 2013, nous avons signé un accord mondial sur la responsabilité sociale de l’entreprise et le développement durable, renégocié plusieurs fois depuis. L’objectif était alors de renforcer le dialogue social à tous les niveaux, dans tous les pays. Aux États-Unis, par exemple, ils n’ont pas notre culture du dialogue social. Ils votent à main levée alors que nous, nous privilégions la confidentialité. Pour avancer, il a fallu former les managers américains à nos pratiques », explique Nicolas Lyons, le coordinateur CFDT de Solvay.

Depuis, le groupe a conclu plusieurs autres accords mondiaux – dont un en novembre 2023 relatif à la protection sociale, qui garantit notamment une couverture médicale santé pour tous les salariés du groupe, seize semaines de congé maternité et paternité rémunérées à 100 %, un système de prévoyance en cas de décès du salarié qui garantit deux années de salaire aux ayants droit ou encore des jours de congés payés en plus pour les salariés aidants. « À chaque négociation mondiale, nous nous appuyons sur ce qui se fait en France. Notre dialogue social produit des richesses. Je me réjouis que les idées françaises remontent et soient déployées dans le monde », poursuit Nicolas Lyons.

Exporter nos pratiques de dialogue social

Mais si les accords-cadres internationaux permettent, en principe, d’harmoniser les pratiques sociales des entreprises partout dans le monde, il faut, pour que cela fonctionne, que les syndicats français et internationaux puissent s’assurer de leur bon déploiement. « Nous ne connaissons pas le droit applicable en cas de litige. Il est donc important de mettre en place un comité de suivi. C’est le seul moyen de contraindre juridiquement la maison mère », explique Jean-Marc Candille, de la Fédération CFDT Construction et Bois, affiliée à la fédération internationale IBB. Une mécanique que connaît bien la déléguée syndicale centrale adjointe CFDT d’Orange Nadia Zak Calvet.

“Nous avons pu mettre en relation les syndicats marocains d’Orange et ceux d’un sous-traitant chez qui un conflit existait et qui ne respectait pas les droits syndicaux.”

Déléguée syndicale centrale adjointe CFDT d’Orange Nadia Zak Calvet.

À propos de l'auteur

Sabine Izard
Journaliste

Le groupe de téléphonie, qui compte 137 000 collaborateurs dans 26 pays, a ainsi mis en place en 2003 une alliance syndicale mondiale composée de représentants d’UNI Global Union et de plus de 300 représentants de syndicats nationaux. C’est cette alliance qui négocie et signe les accords-cadres internationaux. C’est aussi elle qui assure le suivi de leur mise en œuvre. « Nous essayons de créer systématiquement des comités ad hoc conventionnels permettant de décliner nos accords mondiaux à l’échelon local. L’accord nous permet de faire pression sur les directions locales pour qu’elles prennent les initiatives attendues. Il nous permet aussi d’entrer dans l’ensemble de nos filiales et de montrer aux salariés du monde entier qu’un syndicat, c’est utile ! », appuie-t-elle.

« Par exemple, nous avons pu mettre en relation les organisations syndicales marocaines d’Orange et celles d’un sous-traitant chez qui un conflit existait et qui ne respectait pas les droits syndicaux. Plus récemment, notre affilié à Madagascar nous a remonté de grosses difficultés avec la direction du pays. L’alliance est intervenue en soutien avec la DRH du groupe afin d’améliorer le dialogue social dans ce pays. Enfin, lors de la dernière réunion de l’alliance, en octobre 2024, nous avons demandé à la direction un accord mondial sur l’introduction des nouvelles technologies et l’intelligence artificielle. Selon la CFDT, il est important d’innover dans ce domaine pour préserver et protéger les droits des salariés et intégrer le champ de l’IA dans le champ social. » La preuve, s’il en fallait, que le dialogue social transnational a encore de beaux jours devant lui…