À l’hôpital de Lanmeur, les agents font condamner leur ancienne directrice pour harcèlement moral

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iconeExtrait de l’hebdo n°3937

Épaulés par la CFDT, huit agents et ex-agents du centre hospitalier de Lanmeur ont poursuivi en justice leur ancienne directrice pour harcèlement moral. Celle-ci a été condamnée à quatre mois de prison avec sursis. Une peine confirmée par la Cour de cassation en juin dernier.

Par Fabrice Dedieu— Publié le 15/10/2024 à 12h00

De gauche à droite : Stéphane Postollec, secrétaire général du Syndicat Santé-Sociaux du Finistère ; Sébastien Capdevielle, un des plaignants ; Ghislaine Moal, membre de la section syndicale de l’hôpital ; Virginie Rannou, secrétaire de la section syndicale de l’hôpital ; Thierry Choquer, membre de la section syndicale.
De gauche à droite : Stéphane Postollec, secrétaire général du Syndicat Santé-Sociaux du Finistère ; Sébastien Capdevielle, un des plaignants ; Ghislaine Moal, membre de la section syndicale de l’hôpital ; Virginie Rannou, secrétaire de la section syndicale de l’hôpital ; Thierry Choquer, membre de la section syndicale.© Syndheb

Sébastien Capdevielle n’a rien oublié de ses années passées au sein de l’administration de l’hôpital de Lanmeur (Finistère / Bretagne). Arrivé en juillet 2014 comme responsable du service économique et contrôleur de gestion dans cet établissement qui compte environ 300 agents et 275 patients, il sent dès ses premières semaines d’activité que sa relation avec la directrice de l’établissement de l’époque va être compliquée. « Au sein du service, j’étais le cinquième à occuper le poste en quelques années… Très vite, on m’a alerté sur la personnalité particulière de la directrice », explique celui qui est désormais passé à la fonction publique territoriale.

Premier moment de malaise, la réunion de transmission entre un de ses collègues du service qui quitte l’hôpital, la directrice et lui-même. « Elle a passé deux heures à le démolir en ma présence », se souvient Sébastien, qui, rétrospectivement, décrit la façon de fonctionner de la dirigeante : « Lorsque tu es embauché, tu es le messie. Ça commence par l’entretien où elle te confie un “challenge”. S’ensuit une période de lune de miel. Puis les remarques acerbes arrivent, tu assistes à des réunions où tu vois des choses choquantes et, si tu dis quelque chose, tu deviens une cible, avec des humiliations en permanence, en réunion notamment. »

“Placardisé, j’étais comme sourd et aveugle”

La situation de Sébastien, qui n’était déjà pas idéale durant les premiers mois d’exercice de son emploi, avec plusieurs arrêts de travail liés à ses conditions de travail, va se précipiter en juin 2017. De retour d’une formation professionnelle en vue d’une reconversion, la directrice lui demande de démissionner, son ancien poste étant pourvu. « Je me renseigne et on me dit : “Ne démissionnez pas, vous avez un devoir de servir. Sinon, il faut rembourser les indemnités qui vous ont été versées pendant la formation à l’hôpital.” Évidemment, la directrice ne me l’avait pas précisé », explique Sébastien Capdevielle. Ce dernier demande à être libéré de son devoir de servir, la directrice refuse. Il est alors placardisé : « Je me retrouvais avec un poste de contrôleur de gestion sans les droits informatiques permettant d’utiliser les outils nécessaires que j’avais créés, sans avoir les infos de la boucle du service éco. J’étais comme sourd et aveugle. »

1. Agence régionale de santé.

2. Article 222-33-2 du code pénal : “Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.”

Consigne est donnée par la responsable de ne pas interagir avec Sébastien, de ne pas répondre à ses questions. La directrice lui reproche également le fait que son retour empêche d’embaucher des agents en renfort dans les services de l’Ehpad de l’établissement. La goutte d’eau qui fait déborder le vase tombe selon lui en 2019, lorsque la directrice aurait menacé physiquement une collègue de Sébastien. Il tente de saisir l’ARS1, l’inspection du travail, le conseil de surveillance de l’hôpital… Sans succès. C’est alors qu’il saisit le procureur de Brest, et le fait savoir à ses collègues : « J’ai obtenu une vingtaine de témoignages qui corroborent et recroisent ce que j’ai vécu. Quelques semaines plus tard, en septembre 2019, j’étais convoqué à la gendarmerie. » Il porte plainte pour harcèlement moral2. L’altercation entre l’agente et la directrice a constitué un élément déclencheur pour d’autres agents. Vingt personnes se font ainsi connaître de la justice, sept plaintes sont retenues.

Une section CFDT aux avant-postes

Cette libération de la parole parmi le personnel de l’hôpital est un soulagement pour la section CFDT et le Syndicat Santé-Sociaux du Finistère. En effet, depuis 2010, la section observait, impuissante, la souffrance au travail et la dégradation de l’état de santé de certains agents (stress, dépression, addictions…), liées au comportement de la directrice de l’établissement ; des témoignages étaient jugés alarmants. « Nous constations également son comportement inapproprié pendant les réunions d’instance, se souvient Virginie Rannou, la secrétaire de la section. Nous avons été informés en 2013, en CHSCT, d’un courrier de l’inspection du travail qui lui avait été envoyé et qui l’informait que des agents étaient en grande souffrance. En 2014, nous avons mené une enquête interne, que la directrice a balayée d’un revers de main. Elle estimait qu’il s’agissait d’une enquête syndicale et non CHSCT… Puis, à chaque CHSCT, nous avons alerté. » Sans succès.

En juin 2019, à la suite de l’altercation, la section, par un vote en instance, a pu imposer à la direction une expertise effectuée par le cabinet Syndex, afin d’objectiver la situation. « C’est le seul levier d’action que nous avions trouvé après avoir, en vain, tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme auprès de la médecine du travail, du conseil de surveillance de l’hôpital, de l’ARS, de politiques locaux… », souligne Ghislaine Moal, membre de la section CFDT. « Le rapport de Syndex mettait enfin des mots sur ce que les agents vivaient au quotidien, notamment un climat de peur qui s’exerçait depuis des années. Ce rapport tout comme les procès-verbaux des réunions du CHSCT ont été très importants dans le dénouement judiciaire de l’affaire. » Lorsque la procédure judiciaire s’enclenche, le syndicat et le CHSCT de l’hôpital se portent parties civiles, aux côtés des plaignantes et des plaignants. « Nous leur avons apporté beaucoup de soutien. Ils venaient d’ailleurs nous voir régulièrement au local, en toute discrétion, par crainte de possibles représailles », ajoute Thierry Choquer, membre de la section CFDT.

“La justice a pu agir là où les administrations censées protéger les agents ont échoué.”

La section CFDT

Quatre mois de prison avec sursis

À propos de l'auteur

Fabrice Dedieu
Journaliste

L’affaire sera jugée par le tribunal correctionnel de Brest en octobre 2021, puis par la cour d’appel de Rennes en février 2023. Cette dernière confirme le jugement en première instance et note qu’il est « établi que madame L. B. a eu un comportement et tenu des paroles de façon répétée à l’encontre de monsieur Sébastien Capdevielle » qui relèvent de la définition pénale du harcèlement moral. La directrice est déclarée coupable concernant les faits liés à quatre plaignants (dont Sébastien). Elle est condamnée à quatre mois d’emprisonnement avec sursis (contre cinq mois en première instance). Une peine confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 25 juin 2024. Si l’issue du parcours judiciaire est positive, Sébastien reste amer : « Elle n’a pas payé cher les erreurs qu’elle a commises ! » Du côté du syndicat et de la section CFDT, si la peine peut paraître insuffisante, les militants expriment leur soulagement : « La justice a pu agir là où les administrations censées protéger les agents ont échoué. »