À Courbevoie, une invraisemblable lutte des classes

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icone Extrait de l'hebdo n°3953

Le maire de Courbevoie a décidé unilatéralement de fermer une école d’un quartier populaire pour construire à la place une école européenne destinée à des élèves sélectionnés sur entretien et des enfants de familles travaillant pour les institutions européennes. La CFDT tente d’empêcher ce gâchis… mais la partie est loin d’être gagnée.

Par Jérôme CitronPublié le 18/02/2025 à 13h00

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À Courbevoie, riche commune des Hauts-de-Seine (Île-de-France), il existe encore des quartiers sensibles où le vivre-ensemble relève d’un combat permanent. Des quartiers où l’école est le dernier service public, le lieu où se retrouvent les familles tous les matins, le lieu où s’organisent des fêtes et se construisent les souvenirs de générations d’enfants.

L’école André-Malraux joue ce rôle… au moins jusqu’à la fin de l’année. Située au pied des tours du quartier d’affaires de la Défense – mais dans un quartier jugé difficile, principalement à cause des trafics qui y sont installés –, elle est un repère pour les habitants. Ses onze classes (recevant 245 enfants), dont une section arabe et une section musique (elle a eu jusqu’à quatorze classes avec une section américaine) n’en font pas une petite structure mais un gros établissement structurant, qui accueille aussi des activités périscolaires. « Nous proposons une offre culturelle à des familles qui n’auraient pas forcément inscrit leurs enfants à des activités en dehors de l’école », précise une enseignante.

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Le choc de l’annonce de la fermeture

Pourtant, cette école doit être rasée. Les enseignants puis les parents l’ont appris en septembre 2024 à l’occasion d’une visioconférence municipale lors de laquelle a été évoquée une fermeture définitive, prévue en juin 2025. Un véritable choc. Après plusieurs années où il était question d’effectuer des travaux afin de réaménager le quartier et d’y implanter une école européenne à côté de l’école André-Malraux, la mairie a finalement décidé de supprimer l’école du quartier et de répartir les élèves dans les autres établissements scolaires de la ville. Or si ce projet arrive à son terme, l’école européenne remplacera purement et simplement Malraux, sans scolariser les élèves du coin.

L’école européenne est censée accueillir 1 200 jeunes, de la maternelle au baccalauréat, mais pas n’importe lesquels puisqu’elle sera réservée aux enfants des familles travaillant pour les institutions européennes. Accéder aux places disponibles supposera de passer et réussir un entretien ; la priorité étant accordée aux familles binationales. « C’est une école publique mais pas une école pour tous les publics ! », ironise Jean-Yves Bernard, directeur d’école et responsable local de la CFDT Éducation Formation Recherche publiques, qui a pris la tête de la contestation avec les fédérations de parents d’élèves.

Jean-Yves Bernard, directeur d’école et responsable local de la CFDT Éducation Formation Recherche publiques.
Jean-Yves Bernard, directeur d’école et responsable local de la CFDT Éducation Formation Recherche publiques.© CFDT - DR

Passé le choc de la récente annonce, la mobilisation s’est immédiatement mise en place, avec la CFDT en première ligne. Il faut dire que 23 directrices et directeurs d’école de la ville sur 35 adhèrent à l’organisation syndicale orange. « Très vite, nous avons voulu élargir la problématique car cette suppression impacte les écoles qui vont devoir accueillir les élèves dans quelques mois », affirme Jean-Yves. Une motion rejetant cette décision de fermeture a d’ailleurs été votée par les parents et les enseignants dans 33 conseils d’école sur les 35 que compte la ville.

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Rassemblement devant la mairie, tractage, pétition, présence aux conseils municipaux, articles dans Le Parisien et Mediapart… Tous les leviers de mobilisation ont été activés pendant trois mois sans que rien ne bouge. La majorité municipale n’a pas désavoué la décision du maire. « Ce qui est insupportable, c’est que lorsqu’il faut réunir deux petites écoles dans les quartiers privilégiés, toutes les précautions sont prises pour ne froisser personne – alors que là, on ferme d’un revers de la main une grosse école qui fonctionnait bien et jouait un vrai rôle social. Les élus ne se sont même pas déplacés pour parler directement aux parents, s’indigne Jean-Yves. L’entêtement du maire est d’autant plus incompréhensible qu’il avait jusque-là toujours été attentif aux écoles et à leurs besoins. Nous n’avions pas de grief. »

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Un recours déposé devant le tribunal administratif

À propos de l'auteur

Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

À présent, le dernier espoir repose sur la justice. La CFDT a déposé un recours devant le tribunal administratif. La décision sur le fond ne sera pas rendue d’ici à plusieurs années mais, en attendant, le juge peut décider de suspendre la décision de la municipalité. « Après avoir tenté de négocier puis manifesté notre opposition, le recours à la justice est la dernière carte que nous ayons en main », soupire Jean-Yves, qui veut encore y croire… Quel gâchis !