Une rentrée scolaire sous tension

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iconeExtrait de l’hebdo n°3929

Même si le ministère de l’Éducation nationale a malheureusement l’habitude de gérer la valse des ministres, l’instabilité politique actuelle aggrave les difficultés déjà bien identifiées. L’école se prépare à une rentrée difficile faute d’enseignants en nombre suffisant. La CFDT Éducation Formation Recherche publiques exige l’abandon du “choc des savoirs”.

Par Jérôme Citron— Publié le 23/07/2024 à 12h00

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© Fred Marvaux/RÉA

C’est un symbole fort. Alors que l’école devait être la priorité des priorités du gouvernement, quatre ministres de l’Éducation nationale se sont succédé entre l’été 2023 et l’été 2024, et l’on ne sait toujours pas qui sera à la tête du ministère à la rentrée. « La vacance actuelle du poste ne pose pas de problème particulier. L’administration a l’habitude et sait faire, souligne Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale de la CFDT Éducation Formation Recherche publiques. Ce qui est plus problématique, en revanche, ce sont toutes les décisions qui n’ont pas été prises au printemps et qui laissent les professionnels dans l’attente pour la rentrée. » Par exemple, certains professeurs des écoles attendent toujours de savoir où ils seront affectés à la rentrée scolaire car les dernières créations et suppressions de classes (des décisions très politiques et qui ont été gelées pendant la période des élections) ne sont pas encore tranchées.

Cette période d’instabilité politique se révèle d’autant plus problématique que de nombreuses réformes – presque toutes ont été rejetées par les organisations syndicales – sont censées s’appliquer dès septembre prochain. Les organisations syndicales demandent donc a minima un report des mesures afin de donner le temps aux professionnels de se retourner ; elles sont d’ailleurs parvenues à obtenir gain de cause sur certains sujets. Les nouveaux programmes des cycles 1 (maternelle) et 2 (CP, CE1 et CE2) sont ainsi reportés à la rentrée 2025. Dans le second degré (collège et lycée), les évaluations de cinquième et troisième seront non seulement facultatives mais allégées par rapport à ce qui était prévu. En revanche, et malgré l’opposition des syndicats, les évaluations nationales seront obligatoires tous les ans du CP à la sixième dès la rentrée 2024. La CFDT rappelle son opposition à cette généralisation des évaluations, qui peut se révéler contre-productive pour les élèves.

Les groupes de niveau, un sujet qui fâche

La mise en place des groupes de niveau au collège constitue un des autres sujets qui fâchent. Cette réforme – menée au pas de charge, contre l’avis de l’ensemble des professionnels de l’Éducation – n’est pour l’instant pas remise en cause. Elle devrait s’appliquer à la rentrée, même si cela apparaît aujourd’hui extrêmement acrobatique vu le manque de professeurs dans beaucoup d’académies.

La CFDT incite d’ailleurs les établissements à revendiquer leur droit à l’autonomie pédagogique en vue de faire face aux difficultés qui s’annoncent et, pourquoi pas, « inventer » leur propre groupe afin d’éviter tout risque de stigmatisation des élèves. L’enseignement privé sous contrat a d’ailleurs déjà annoncé à mi-mot qu’il entendait s’organiser comme bon lui semble – sans que cela provoque une grande réaction de la part du gouvernement. À l’heure où le rapprochement entre le public et le privé s’avère nécessaire afin d’encourager la mixité sociale et éviter le phénomène de ghettoïsation, il serait particulièrement malvenu que cette liberté pédagogique ne soit pas accordée aux établissements publics.

Quid de la formation des enseignants ?

Autre inquiétude majeure des professionnels : la réforme de la formation initiale des enseignants. In fine, elle semble bel et bien reportée, voire abandonnée. Un gouvernement démissionnaire n’a en effet pas de légitimité pour mener à terme ce projet dont l’une des mesures phares était le recrutement des enseignants par concours à bac + 3 au lieu de bac + 5 aujourd’hui. Les universités, qui s’inquiétaient de devoir construire en urgence ces nouveaux parcours de formation, sont rassurées. La réforme censée rendre plus attrayant le métier d’enseignant ne verra pas le jour… à moins que le prochain gouvernement reprenne les travaux en cours et fasse aboutir ladite réforme. Une gageure sans majorité absolue à l’Assemblée nationale.

Quoi qu’il arrive sur le plan politique, le prochain gouvernement devra faire de l’école sa priorité. La difficulté de recruter des enseignants en français et en mathématiques est de plus en plus aiguë. Cette année encore, les concours n’ont pas fait le plein, et tous les postes n’ont pu être pourvus faute de candidatures à la hauteur des attentes. Même le recrutement des contractuels – il avait permis de résoudre une partie du problème, ces dernières années – devient à son tour difficile. « Il est urgent de travailler sérieusement à l’attractivité des métiers de l’Éducation nationale, alerte Catherine Nave-Bekhti. Je ne m’inquiète pas particulièrement en ce qui concerne les premiers jours de la rentrée car l’Éducation nationale sait se démener pour que tous les élèves aient un enseignant s’occupant d’eux. En revanche, la situation se dégrade très vite au cours de l’année. Les enseignants en arrêt maladie sont de moins en moins remplacés, et la formation continue des enseignants est clairement sacrifiée. »

Un “choc des savoirs”… à abandonner

C’est dans ce contexte extrêmement tendu que la CFDT Éducation Formation Recherche publiques et la FEP-CFDT enseignement privé exigent du futur gouvernement l’abandon des mesures du « choc des savoirs ». « Ces mesures sont le symbole d’une école du tri social que nous refusons, écrivent-elles dans un texte commun. Depuis six mois, la mobilisation initiée par nos organisations syndicales est continue. Elle doit enfin être entendue ! » Outre l’abandon du « choc des savoirs », les organisations syndicales attendent des mesures concrètes au sujet du pouvoir d’achat. « La question salariale est loin d’être close, rappellent-elles ; des discussions sur une revalorisation salariale sans contreparties doivent rapidement s’engager. Aucune catégorie ne devra être oubliée : il y a par exemple urgence à ouvrir les concertations pour la création d’un statut de la fonction publique pour les personnels AES [accompagnants d’élèves en situation de handicap]. »

À propos de l'auteur

Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

Une chose est sûre, le prochain ou la prochaine ministre de l’Éducation nationale, quel que soit son bord politique, aura de nombreux dossiers ouverts sur son bureau à la rentrée. Espérons qu’il ou elle s’en empare dans un esprit constructif et en concertation avec les organisations syndicales. Ce serait, déjà, un premier grand changement…