Ultra fast fashion, ultra-catastrophique

iconeExtrait du magazine n°505

Toujours plus. Plus rapide, plus changeante… l’industrie de la mode éphémère piétine les droits humains de travailleurs sous-payés et constitue un véritable désastre écologique. La volonté de légiférer contre ce système délétère émerge en France pour la première fois.

Par Claire Nillus— Publié le 29/08/2024 à 13h33

Décharge illégale de déchets textiles à Dhaka, Bangladesh.
Décharge illégale de déchets textiles à Dhaka, Bangladesh.© RÉA

Parce qu’on les trouve à des prix imbattables, on achète davantage de vêtements aujourd’hui et on en change plus souvent au fil des modes. En vingt ans, les Français ont doublé leur consommation. Pourtant, 30 % de leurs achats ne sont jamais portés et 600 000 tonnes de textile sont jetées chaque année. À l’échelle mondiale, quelque 100 milliards de vêtements sont mis sur le marché, faisant de l’industrie de la fast fashion (mode rapide) la deuxième plus polluante au monde : les milliards de tonnes de gaz à effet de serre qu’elle émet ont désormais un impact plus important que celui des vols internationaux et du trafic maritime réunis, selon l’Ademe (Agence de la transition écologique).

Et le phénomène s’aggrave. Depuis 2019, le commerce en ligne inonde le marché avec ses produits low cost fabriqués en Asie : à l’instar de la marque chinoise Shein – à l’origine de ce que l’on désigne ultra fast fashion –, qui produit chaque jour de nouvelles collections. Avec en moyenne plus de 7000 modèles de vêtements inédits par jour et 470000 produits différents, la marque propose mille fois plus de produits qu’une enseigne française traditionnelle. Son chiffre d’affaires a progressé de 900 % en trois ans. Une ascension fulgurante similaire pour Temu, autre plateforme chinoise d’e-commerce.

Des ouvrières payées 35 centimes l’heure

L’Europe importe massivement les vêtements fabriqués par des ouvrières payées 35 centimes l’heure au Bangladesh, 55 centimes au Pakistan… Bilan : là-bas, des salaires de misère et des travailleurs exposés à des risques chimiques élevés (teintures, colorants, délavage à l’ozone…), tandis qu’en France le secteur a perdu les deux tiers de ses effectifs et plus de la moitié de sa production ces deux dernières décennies (source : Insee). En plus de cette casse sociale, les ravages écologiques liés à la surproduction et à l’hyperconsommation sont considérables.

Selon l’association Fashion Revolution, pour fabriquer un T-shirt, il faut en eau l’équivalent de 70 douches, et 285 pour produire un jean. L’Ademe note aussi que 70 % des tissus synthétiques sont fabriqués à partir du pétrole, et que lors de leur passage en machine, ces vêtements rejettent chaque année l’équivalent de 240 000 tonnes de microparticules de plastique dans les océans.

Recyclage ou enfumage ?

Chaque Français achète environ 10 kg de textile et de chaussures par an, dont seulement un tiers sera collecté en fin de vie (source : Ademe). Là encore, les données interrogent. Selon celles qui ont été communiquées par Emmaüs à la rapporteure de la proposition de loi contre la mode éphémère – enregistrée à l’Assemble nationale en mars 2024 – sur cent vêtements collectés par l’association à travers son réseau, seuls cinq, en moyenne, sont réemployés en France. La moitié est envoyée dans des centres de tri au Sénégal, au Burkina Faso et à Madagascar, un tiers fait l’objet d’un recyclage pour produire du tissu et, enfin, dix deviennent des déchets valorisés énergétiquement. Finalement, moins de 1 % des tissus qui composent nos vêtements est recyclé pour en faire de nouveaux.

“Le 100 % recyclable ou recyclé n’est techniquement pas possible, le 100 % écoresponsable non plus.’

Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes chez Zero Waste France.

« Le problème de la fast fashion, c’est aussi qu’elle a favorisé la prolifération de vêtements composés de plusieurs de ces matières majoritairement synthétiques qui sont quasiment impossibles à séparer et donc à recycler. De plus, le recyclage est un processus industriel, donc non neutre d’un point de vue environnemental », rappelle Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes chez Zero Waste France.

Il faut aussi se méfier des indications telles que « biodégradable », « respectueux de l’environnement » ou toute autre allégation similaire sur les produits, ajoute-t-elle. « La mention “100 % naturel”, par exemple, insiste sur un pourcentage et crée du flou avec le terme naturel qui ne veut pas dire grand-chose… Est-ce bio ? Sans matières synthétiques, pesticides ou autres substances toxiques ?
Le 100 % recyclable ou recyclé n’est techniquement pas possible, le 100 % écoresponsable non plus. »

1. Act!onAid, Les Amis de la Terre, Emmaüs, Fashion Revolution France, HOP – Halte à l’obsolescence programmée, France Nature Environnement,Max Havelaar France, Zero Waste France.

Une proposition de loi votée en mars dernier par les députés (lire ci-dessous) a pour objectif de renforcer le rôle de l’affichage environnemental déjà prévu dans la loi Antigaspillage pour une économie circulaire (dite loi Agec) de 2020 et la loi Climat et Résilience de 2021.

Le texte vise à mieux éclairer les consommateurs sur leurs achats et inciter financièrement les fabricants à améliorer la performance environnementale de leurs produits. Un dispositif inédit qui mériterait de voir le jour selon la coalition Stop Fast Fashion1.

Ce que dit la proposition de loi

Comment légiférer ?

Le 14 mars dernier, les députés français ont voté à l’unanimité une propositionde loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile. L’Assemblée nationale ayant été dissoute par le Président après les résultats des élections européennes, on ne connaît pas l’avenir de ce texte.

Toutefois, il constitue une piste intéressante pour freiner la mise frénétique sur le marché de nouveaux vêtements.
Elle consiste à actionner deux leviers : l’interdiction pour les marques de la fast fashion de faire de la pub, d’une part ; l’instauration de pénalités ou de primes selon l’impact environnemental des produits, d’autre part. Celles-ci seraient calculées en fonction de l’affichage environnemental, rendu obligatoire avec la loi Agec à partir de 2025, sorte de Nutri-score du textile élaboré par l’Ademe et le ministère de la Transition écologique.

« La méthode nous satisfait en ce qu’elle préconise d’aller au-delà de l’analyse du cycle de vie d’un produit et de prendre en compte les pratiques des entreprises et leurs incitations à consommer (durée de commercialisation des vêtements, nombre d’articles mis sur le marché, prix…), explique Pierre Condamine, de l’association Les Amis de la Terre, qui fait partie de la coalition Stop Fast Fashion. L’idée que nous défendons, c’est de prendre de l’argent aux pires marques afin de verser des primes aux entreprises qui font un effort pour respecter un cahier des charges environnemental
et social vertueux, en tenant compte des lieux de production, du coût de la main-d’œuvre, des matières employées, de la possibilité de recyclage, de la gestion de leurs déchets afin qu’ils cessent d’alimenter d’immenses décharges à ciel ouvert. »

Quant à l’interdiction de la publicité, elle pourrait s’appliquer aux marques qui dépassent les seuils de renouvellement des collections (comme Shein ou Temu). Reste à savoir où se placerait le curseur. « Car il ne s’agit pas seulement d’entraver la commercialisationd’une marque, il faut inciter à moins produire », poursuit le militant.