Refus de la misère : changer de braquet, vite !

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iconeExtrait de l’hebdo n°3937

À l’occasion de la 37e journée mondiale du refus de la misère, ATD Quart Monde dénonce la double maltraitance, sociale et institutionnelle, dont sont victimes plus de 5 millions de personnes. Et réclame un sursaut d’engagement dans un appel signé et relayé par une trentaine d’organisations associatives et syndicales.

Par Sabine Izard— Publié le 15/10/2024 à 12h00

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© ATD Quart Monde

« Ils sont contrôlés, surveillés, soupçonnés de frauder les “allocs”, de ne pas chercher de travail, de laisser traîner dehors leurs enfants, de ne pas suivre leur scolarité, etc. Dans le monde entier, les plus pauvres sont victimes d’une double maltraitance : sociale et institutionnelle. Sociale, par la stigmatisation, qui les rend responsables de leur situation. Institutionnelle, par des politiques publiques qui renforcent les conditions et les règles toujours plus strictes pour accéder à leurs droits », dénonce ATD Quart Monde dans l’édito de son journal, Résistances, qui lance ce 17 octobre la 37e édition de la journée mondiale du refus de la misère.

Cette année, l’appel est signé par 27 organisations (dont la CFDT, Amnesty International France, Emmaüs, France Terre d’Asile…) qui appellent à un sursaut d’engagement. « Toujours plus de contrôle et moins d’accompagnement. C’est le contraire qu’il faut faire : mieux accompagner les plus pauvres et davantage leur faire confiance. Cela suppose d’allouer plus de moyens au “social” et de changer les regards qui dressent les uns contre les autres », déclarent ainsi d’une même voix les organisations signataires.

Selon l’Insee, 5,1 millions de personnes (soit 8,1 % de la population française) vivent aujourd’hui avec moins de 1 014 euros par mois, si l’on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian. « Depuis le milieu des années 2000, la pauvreté repart à la hausse », déplore l’Observatoire des inégalités dans son rapport de juillet 2024 sur la pauvreté. « Une part croissante de la population la plus modeste s’éloigne du niveau de vie des classes moyennes. »

Un net manque de volonté politique

« La situation des personnes ne s’améliore pas, développe la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard. La grande pauvreté augmente et les plus pauvres sont stigmatisés par certains responsables politiques. On ne sent pas de réelle volonté de les prendre en compte, et ce, dans tous les domaines : le logement, où on ne voit pas d’avancées pour permettre aux gens d’avoir un logement digne et durable plutôt que de vivre à la rue ou dans des hébergements indignes, ou encore la santé avec l’éventuelle suppression de l’aide médicale d’État. »

“Avoir dans notre pays plus de 3 000 enfants à la rue chaque soir, c’est inadmissible !”

Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde

Les budgets manquent. Conséquence : les professionnels du secteur sont, eux aussi, maltraités par les institutions. « Aujourd’hui, ils doivent suivre quatre-vingts personnes au lieu de quarante il y a encore quelques années, parce que les départs en retraite ne sont pas remplacés. Il n’y a plus assez d’humains aux guichets pour répondre aux personnes, ce qui abîme durablement la vie des plus pauvres. On ne peut pas couper pendant trois mois le RSA à une personne parce qu’il manque un papier et qu’elle n’a pas internet ! », affirme Marie-Aleth Grard. « Ça ne peut pas durer comme ça. Nos revendications s’adressent aux responsables politiques mais aussi à toute la société. Chacune et chacun peut et doit agir s’il ne veut pas laisser sur le bord de la route des millions de personnes. Avoir dans notre pays plus de 3 000 enfants à la rue chaque soir, c’est inadmissible ! », dénonce la responsable d’association.

Un enjeu démocratique, selon la CFDT

Ces revendications, la CFDT les portent pleinement dans le Pacte du pouvoir de vivre à travers des propositions visant à favoriser l’accès à un logement décent, à un travail de qualité, à des soins de qualité et à une nourriture saine. « Pour la CFDT, la lutte contre la pauvreté a toujours été un enjeu démocratique, rappelle Lydie Nicol, secrétaire nationale chargée des questions de pauvreté et d’exclusion. Aujourd’hui, nous sommes inquiets car les choix politiques qui sont faits ne vont pas dans le bon sens. Certains arbitrages comme le durcissement des règles de l’assurance chômage ou encore une nouvelle loi sur l’immigration, en 2025, vont peser sur les plus pauvres. »

De la même façon, lorsque le gouvernement annonce la baisse du nombre de postes chez France Travail alors qu’il s’est engagé à un accompagnement renforcé des allocataires du RSA par l’organisme au 1er janvier 2025, « on ne voit pas comment la promesse pourrait être tenue ! »… ou lorsque le Premier ministre projette de fusionner plusieurs prestations sociales (RSA, allocation chômage, aides de la CAF) dans une allocation sociale unique « pour que le travail paie plus que l’addition des allocations ».

“L’État veut nous faire croire qu’il y a les assistés d’un côté et ceux qui travaillent de l’autre… alors que la France compte un million de travailleurs pauvres !”

Lydie Nicol, secrétaire nationale

« L’État veut nous faire croire qu’il y a les assistés d’un côté et ceux qui travaillent de l’autre… alors que la France compte un million de travailleurs pauvres ! Cette allocation est complètement déconnectée des réalités quotidiennes des personnes », affirme Lydie Nicol. Enfin, que dire de la volonté de mettre fortement à contribution les retraités dans le redressement des finances publiques ? « Le report de six mois de l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation – alors que deux millions de personnes âgées vivent en dessous du seuil de pauvreté et ne sont pas propriétaires de leur logement – ne tient aucun compte des personnes les plus fragiles. Il faut penser les politiques publiques à hauteur du premier décile, c’est-à-dire des plus pauvres. Si elles ont un impact pour eux, alors elles auront un impact pour tout le monde. »

Soutenir les professionnels du secteur

Selon la CFDT, il s’agit de soutenir également les associations lorsqu’elles dénoncent, à l’instar d’ATD Quart Monde, la maltraitance institutionnelle. « Comme elles, nous constatons une perte de sens chez les professionnels du social et les agents des services publics, poursuit Lydie Nicol. Ils nous disent qu’ils n’en peuvent plus d’être dans cette politique du chiffre et qu’ils voudraient pouvoir mieux accompagner les personnes. Ils n’ont plus les moyens de faire correctement leur travail ! »

À propos de l'auteur

Sabine Izard
Rédactrice

La CFDT appelle ainsi tous ses militants, adhérents et sympathisants à se joindre aux différentes initiatives organisées dans les territoires. « Il est important, dans ces moments difficiles, de montrer que l’on est aux côtés des associations pour porter la parole de celles et ceux que l’on n’écoute pas beaucoup », conclut Lydie Nicol.

TAE, une entreprise presque comme les autres

Créée en 2002 à Noisy-le-Grand, l’entreprise solidaire TAE (Travailler et Apprendre Ensemble) d’ATD Quart Monde constitue un champ d’innovations. Dans cette entreprise presque comme les autres, des salariés en grande difficulté côtoient d’autres personnes au parcours plus classique. « Les anciens forment les nouveaux, et on pratique la polyvalence, explique-t-on à l’association. Ici, on prend la personne comme elle est : si elle est plus lente, on l’accepte quand même ; on est dans la coopération, pas dans la compétition ! »

À ce jour, TAE compte 26 salariés… et une section CFDT les représente. « L’avantage à TAE est que l’on tient compte des contraintes administratives auxquelles font face les salariés, par exemple lorsqu’ils doivent prendre du temps pour se rendre à la CAF. Chez nous, il est possible de s’absenter sans craindre de perdre son emploi. Lorsque la personne s’absente en dehors de ses congés, elle n’est simplement pas payée », précise Dominique, compagnon à TAE et délégué syndical CFDT. « Ce projet prend un sens particulier au moment où des crises profondes interrogent les modèles économiques et invitent à imaginer d’autres possibilités. Par exemple, une économie plus humaine, capable d’allier production de richesses et utilité sociale, sans laisser personne sur le bord de la route… »