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Les visages de l’extrême droite
Depuis un an, une coalition entre les conservateurs et l’extrême droite dirige ce pays de 4,4 millions d’habitants. Les assauts contre le « modèle finlandais » se multiplient et mobilisent les syndicats. Reportage.
Depuis un an, à Pori, ville portuaire longeant la mer Baltique, les 70 travailleurs de la plateforme de logistique Olmar ont déjà cessé le travail plus de trente jours, paralysant de facto une partie des exportations par voies maritimes du pays. Une « anomalie » au pays du dialogue social, qui semble se propager à tous les secteurs professionnels depuis quelques mois. Dans l’hôtellerie, les banques, le nettoyage ou la fonction publique, des milliers de travailleurs alternent les mouvements de grève.
« En vingt-neuf ans de carrière, je n’avais fait grève que deux jours. Voir le port à l’arrêt et les bateaux à quai, c’est douloureux, mais on n’a pas le choix , confie, la gorge nouée, Petri Nurmi, délégué syndical d’Olmar. Nous faisons toujours en sorte de trouver un compromis par le dialogue social. Parvenir à un accord, c’est le socle même du fonctionnement de notre société. La coconstruction fait partie intégrante de notre identité et de notre histoire. Cela fait quatre-vingt-quatre ans que ça marche comme ça. Aujourd’hui, clairement, ce n’est plus le cas. »
La culture du pragmatisme a contribué à l’essor de l’extrême droite
1. Le Parlement finlandais compte 200 élus, dont 48 sont issus des rangs conservateurs et 46 de l’extrême droite.
Depuis que les conservateurs (20,82 %) et le parti d’extrême droite les Vrais Finlandais (20,6 %) ont remporté les élections législatives et scellé une alliance 1, le modèle tripartite finlandais vacille. «Dans cette démocratie consensuelle, le pragmatisme est le maître mot de la culture politique du pays. La Finlande est habituée à la coopération entre les partis, qui va bien au-delà des frontières idéologiques, explique Sanna Salo, sociologue spécialiste de la politique finlandaise. Les partis traditionnels ont longtemps fait preuve de modération à l’égard du parti des Vrais Finlandais qui, de sa création en 1995 jusqu’en 2017, pouvait mêler des discours populistes, de gauche et de droite, souverainistes, eurosceptiques, mais sans être exclusivement centrés sur l’identité nationale. Ils n’ont établi aucun cordon sanitaire rigide et l’ont considéré comme un partenaire parlementaire.» Lorsqu’ils étaient dans l’opposition, la plupart des élus Vrais Finlandais n’ont d’ailleurs pas fait de vagues et ont respecté les règles parlementaires. «Ils ont joué la carte de la respectabilité», poursuit la sociologue.
“Le gouvernement ne nous donne plus les moyens de participer au dialogue social tripartite.”
Faire de la limitation du droit de grève un symbole
Cette stratégie « à pas feutrés » a permis au parti d’élargir sa base électorale. Aujourd’hui aux manettes du pays, l’extrême droite (avec l’aval des conservateurs) dévoile son vrai visage. Avec des conséquences très concrètes sur le dialogue social. «Le gouvernement ne nous donne plus les moyens de participer au dialogue social tripartite. Au niveau national, il nous contourne ou il nous ignore et veut réduire nos prérogatives dans les entreprises, résume Antti Palola, le président du syndicat STTK, fort de 420 000 adhérents. En quelques mois, la Finlande est devenue un laboratoire de l’extrême droite.»
Le 8 mai, le Parlement a adopté une loi restreignant drastiquement l’action syndicale. Ce texte limite à vingt-quatre heures la durée de grève dite politique (contre un projet gouvernemental, par exemple) ou de soutien. La loi prévoit aussi de rehausser les amendes en cas de non respect des nouvelles règles. «C’est une attaque frontale contre les travailleurs, commente Antti Palola. Le gouvernement a décidé de faire de la limitation du droit de grève un symbole dans la mesure où nous ne l’utilisons qu’en cas d’ultime recours», insiste Antti Palola.
Cela pourrait empirer d’ici à l’été. Un projet de réforme du marché du travail est aussi sur la table. En cas d’adoption, les conventions collectives sectorielles seraient abandonnées au profit des accords d’entreprise. Le texte prévoit entre autres de faciliter les licenciements, le recours au CDD, mais aussi la baisse des indemnités chômage ou encore l’introduction d’un jour de carence en cas de maladie…
«Tout le long de la campagne, les candidats d’extrême droite avaient juré qu’ils ne toucheraient ni aux droits des travailleurs ni au droit de grève. Ils ont dupé ceux qui ont été séduits par leur discours. À ceux qui en doutaient, aujourd’hui, ils ont la preuve que l’extrême droite leur ment.»
Cette attitude opportuniste fera-t-elle changer d’avis une partie de l’électorat finlandais ? Se détournera-t-il du vote extrême ? «Malheureusement rien ne dit, à court terme, que la tendance va s’inverser. Il est trop tôt pour tirer un bilan. Les mesures ne sont pas encore entrées en vigueur. Elles n’ont pas encore touché les Finlandais au portefeuille et dans leur vie quotidienne…», conclut Sanna Salo.