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Les visages de l’extrême droite
Conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors et professeur invité au Collège d’Europe (Bruges).
Comment expliquez-vous la progression rapide des partis radicaux de droite au sein de l’Union ?
Dans un monde de plus en plus instable et conflictuel, cela traduit la crainte d’un déclassement – individuel et collectif –, d’un appauvrissement, d’une perte d’influence, de la perte d’un mode de vie et d’un modèle économique bousculé par la mondialisation. Ainsi, même dans les pays traditionnellement prospères du nord de l’Europe, les partis d’extrême droite progressent fortement dans les votes. Dans les pays du centre et de l’est de l’Europe, sur fond de déclin démographique, l’attirance pour des partis populistes nationalistes est manifeste depuis la crise migratoire, notamment chez des populations restées historiquement très homogènes en raison de l’absence de flux dans leurs pays. L’ouverture à l’international a provoqué une tendance au repli sur soi.
Rejet de l’immigration, de l’islam, du multiculturalisme… c’est la question identitaire qui semble primer. Mais peut-on parler d’une identité européenne ?
Cette question demande que l’on distingue les valeurs, au sens des «préférences» individuelles ou collectives sur le plan culturel et sociétal que l’on trouve dans chaque pays, des principes politiques fondateurs de l’Union européenne qui découlent d’une histoire commune. L’identité nationale «qu’il faut sauver » est très présente dans les discours des extrêmes droites, mais ce qui fonde l’Europe post-1945, c’est la volonté de s’unir et de rester unis pour se protéger de toute tentation d’un retour à l’autoritarisme. C’est un point absolument central : l’Union européenne n’est pas seulement une alliance d’États, ni un vaste marché, elle a des valeurs – au sens de «principes» politiques et juridiques – et garantit des libertés. Elle a ancré son destin commun dans la démocratie et l’émancipation des individus.
La tentation de sortir de l’Union est-elle toujours là ?
Depuis le Brexit, la tendance est à la normalisation plutôt qu’à la radicalisation. Les eurosceptiques essaient de gagner en crédibilité, sur le modèle de Giorgia Meloni en Italie. Le parti de Marine Le Pen, qui voulait sortir de l’euro jusqu’en 2017, ou l’AfD en Allemagne, qui prônait un retour au deutsche mark, ont recentré leurs messages sur des thèmes plus traditionnels de l’extrême droite (immigration, sécurité, identité…). Mais les enquêtes d’opinion en leur faveur dopent à nouveau les discours. Le parti de Geert Wilders, vainqueur aux élections législatives dans son pays, plaide pour un référendum sur la sortie des Pays-Bas de l’Union européenne. Alice Weidel, la cheffe de l’AfD, estime que le Brexit britannique est un modèle pour sa formation politique. Moins structurant que dans le passé, le clivage pro- et anti-UE constitue encore un risque majeur pour l’avenir de l’Europe.
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