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Extrait de l’hebdo n°3901
Alors que les nouvelles règles de gouvernance économique européenne pourraient être adoptées dans les semaines à venir, 15 000 syndicalistes ont défilé dans les rues de Bruxelles pour demander des investissements publics massifs et plus de solidarité.
« Non à l’austérité », « No to austerity », « No all’austerità »… : le slogan a été décliné dans nombre de langues au sein du cortège, aux couleurs chamarrées, qui a parcouru le 12 décembre dernier les rues de la capitale belge. Derrière le vert de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et le rouge de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), les deux organisations accueillantes, l’orange de la CFDT était en bonne place : ils étaient plus de 500 militants à avoir fait le déplacement depuis les Hauts-de-France, le Grand Est ou l’Île-de-France. Et toujours avec la même détermination.
« Les règles économiques et budgétaires doivent contribuer à porter une ambition pour l’Europe et ses citoyens. Nous ne pouvons pas atteindre les équilibres budgétaires en rognant sur la protection sociale, en affaiblissant les services publics ou en sacrifiant les investissements, a clamé Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, devant les manifestants. Cela ne peut pas reposer sur les seules épaules des travailleurs. Chacun doit prendre sa part. Il faut chercher l’argent là où il est, chez les plus riches et dans les superprofits. »
“Nous subissons toujours les conséquences de 2008”
« Il y a de la marge, beaucoup d’entreprises continuent à faire des profits et la croissance est toujours là », poursuit Thierry Bodson, le président de la FGTB. De son côté, la CSC estimait que des mesures d’austérité impacteraient les politiques publiques belges à hauteur de 26 milliards d’euros jusqu’en 2027. « Nous subissons toujours les conséquences des mesures d’austérité de 2008, ajoutait le représentant de la Fédération syndicale européenne des services publics (EPSU). Plus d’austérité, c’est moins d’enseignants, de soignants ou de transports publics. »
L’austérité risquerait par ailleurs de renforcer les inégalités femmes-hommes. Plus nombreuses à exercer au sein des services publics, elles seraient les premières à subir les conséquences de coupes budgétaires. Rappelons d’ailleurs qu’en France, 63 % des agents publics sont des femmes.
Où en sont les discussions ?
Les derniers échanges au sein des institutions européennes laissent penser que l’Union se dirige vers le maintien des règles en vigueur, à savoir les 3 % de déficit et les 60 % de la dette à ne pas dépasser, critères auxquels s’ajouterait de la flexibilité. Les règles comptables pures pourraient être assouplies mais de manière temporaire (pendant la période 2025-2027) et à condition que les États investissent dans des secteurs bénéficiant d’un statut spécial ; la défense est évoquée. En parallèle, les États seraient astreints à une réduction de leur déficit de 0,5 % par an.
Ces arbitrages s’avèrent loin de répondre aux attentes de la Confédération européenne des syndicats (CES) et de la CFDT. Les syndicats souhaiteraient par exemple que la transition écologique bénéficie d’un potentiel statut dérogatoire. « Cette réforme ne tirerait pas les enseignements du passé. C’est la logique “frugale” qui l’emporterait, avec des conséquences néfastes, explique Kristian Bongelli, du service confédéral international-Europe. L’austérité implique un manque d’investissements et une croissance en berne là où des investissements sur des objectifs communs permettraient une croissance durable et une réduction de la dette à moyen et long terme. » Selon Béatrice Lestic, secrétaire nationale de la CFDT, « l’Union européenne ne serait tout simplement pas à la hauteur des défis qui nous font face ».
Le flou du Conseil européen
Le Conseil européen des 14 et 15 décembre aurait dû apporter des clarifications. Il a laissé les observateurs sur leur faim. « Il n’y a aucune mention de gouvernance économique dans les conclusions qui ont été publiées, explique la Confédération européenne des syndicats. L’absence de consensus témoigne de la nécessité de proroger d’au moins six mois les règles en vigueur et de ne pas précipiter l’adoption de règles inadaptées, qui plus est en période de Noël. »
« Face à cette impasse, la seule décision sensée et responsable consiste à proroger la suspension des règles d’austérité punitive, poursuit Esther Lynch, secrétaire générale de la CES. Il faut prendre le temps d’examiner les conséquences et les alternatives d’un retour à l’austérité. Une refonte radicale est nécessaire pour garantir que les règles économiques de l’UE fassent du bien-être de ses citoyens et de la planète une priorité. »
Ces discussions se poursuivront le 20 décembre, lors d’un sommet des ministres de l’Économie et des Finances – un rendez-vous qui pourrait s’avérer décisif.