L’appel de la forêt

iconeExtrait du magazine n°508

Les salariés de l’entreprise Capgemini ont désormais la possibilité de suivre une formation sur la préservation de l’écosystème forestier. Une nouveauté obtenue à l’initiative de militants CFDT. Assurée par des passionnés de l’association Les Enforestés, elle permet de mieux comprendre les enjeux liés à la gestion forestière et à la préservation du vivant.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 02/12/2024 à 13h00

Des salariés de Capgemini découvrent d’autres méthodes d’exploitation forestière, guidés par les gens de l’association Les Enforestés.
Des salariés de Capgemini découvrent d’autres méthodes d’exploitation forestière, guidés par les gens de l’association Les Enforestés.© Joseph Melin

«Jamais je n’avais été dans une forêt comme celle-ci. Je ne connaissais que des forêts plantées, touristiques, avec de jolies allées, des arbres bien droits… Ici, cela n’a rien à voir, tout est sauvage, des tas d’arbres morts qui se décomposent au sol mais qui ont un rôle incroyable dans la biodiversité… » Annie, les joues rosies par la marche, reprend son souffle.

Comme elle, sept autres stagiaires salariés de Capgemini – grand cabinet de conseil en services numériques – viennent de crapahuter toute la matinée dans une forêt ancienne en Corrèze. Ils étaient sous la houlette d’animateurs de l’association Les Enforestés, qui lutte pour la préservation des forêts en Pays de Tulle.

Par curiosité mais aussi pour comprendre les enjeux liés à la forêt et à la biodiversité, ces salariés, plutôt habitués des bureaux, du Cloud et d’autres projets en intelligence artificielle, ont choisi ce stage tout nouvellement inscrit au catalogue de la formation personnelle 2024, grâce à l’initiative de militants CFDT de l’entreprise. « Une semaine après la parution du catalogue, la formation était déjà complète ! Elle a immédiatement fait carton plein, alors que, lorsque nous avions proposé l’idée à la direction, elle avait émis des doutes : “Se balader en forêt ? Quel intérêt ?” », se souvient Stéphane Hennig, délégué syndical chez Capgemini.

Sylvain Duthilleul, Ludovic Antoni et Bernard Jenny cofondateurs de l’association Les Enforestés. Et Vincent Fidon.
Sylvain Duthilleul, Ludovic Antoni et Bernard Jenny cofondateurs de l’association Les Enforestés. Et Vincent Fidon. © Joseph Melin

Coupes rases : la logique mortifère

Justement, le stage vise bien autre chose qu’une balade en forêt ! Il s’agit de comprendre son importance dans le cycle du vivant, comment elle fonctionne, son rôle dans la captation de carbone ou dans le maintien de la biodiversité et, par conséquent, la nécessité de la préserver, développer des modes de gestion alternatifs aux coupes rases – qui, littéralement, rasent les parcelles (et détruisent le sol par la même occasion, avec des engins pesant plusieurs tonnes) pour ensuite replanter des essences en monoculture. « En fait, quand tu vois une coupe rase, tu n’as pas besoin de mots ou d’explication : tu sens dans ton ventre, y a plus rien, c’est le chaos, ça fait mal », témoigne Stéphane, qui a suivi la toute première édition du stage, au printemps dernier.

Julien Barataud, paysan herboriste et naturaliste
Julien Barataud, paysan herboriste et naturaliste© Joseph Melin

“Plus un système est simple, comme dans les forêts plantées en monoculture, plus il va être exposé, fragile, vulnérable ”

Julien Barataud, paysan herboriste et naturaliste.

Malheureusement, les coupes rases sont le mode de gestion forestière privilégié, alors qu’il constitue la plus grande aberration du point de vue de la biodiversité. «Plus un système est complexe, plus il a de chances d’être résilient; il va se réorganiser en cas d’attaque, de maladie, par exemple. Mais plus un système est simple, comme dans les forêts plantées en monoculture, plus il va être exposé, fragile, vulnérable», explique Julien Barataud (paysan herboriste et naturaliste), qui anime la matinée dans cette splendide forêt primaire.

Pouvoir agir dans l’entreprise

Quel lien avec l’entreprise, peut-on se demander ? « Il est temps d’intégrer le vivant en entreprise, qui reste aujourd’hui un complet impensé des politiques des entreprises. On y parle beaucoup du réchauffement climatique, de bilan carbone, mais on passe sous silence l’impact des activités humaines sur le vivant, notamment sur l’effondrement de la biodiversité », indique Michaël Pinault, initiateur du réseau des Sentinelles vertes à la Fédération CFDT Communication, Conseil, Culture. « Surtout, dans un contexte où les entreprises axent leurs actions sur la compensation carbone, il est intéressant que les salariés et leurs représentants syndicaux comprennent ces mécanismes de compensation, qu’ils aient conscience de ce que peut être une “bonne reforestation”, pour être proactifs dans le choix des partenaires. Pour pouvoir s’opposer à des projets de compensation qui s’appuieraient sur des plantations en monoculture, par exemple. »

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

En déposant leurs bottes et leur imperméable au retour de cette balade en forêt, les sept stagiaires sont unanimes : « Je ne regarderai plus jamais une forêt de la même manière », assure Annie. « J’ai appris que l’on pouvait exploiter une forêt sans la détruire, par diverses méthodes », relève Lahcen, qui souhaite partager, au retour « toutes ces nouvelles connaissances avec ses amis. C’est sûr, je recommanderai le stage ! ». La prochaine session promet d’afficher complet !

Environnement et biodiversité : une démarche syndicale

Chez Capgemini, la préoccupation des militants CFDT vis-à-vis de l’urgence climatique ne date pas d’hier. Dès 2016, une réflexion s’est fait jour sur « comment le syndicalisme peut agir sur ces questions », explique Stéphane Hennig.

Aux élections professionnelles de 2019 puis celles de 2023, la décision est prise de reverser une partie du budget de la campagne électorale à des associations engagées sur ces sujets.

En 2023, l’équipe CFDT décide de verser 2 500euros aux Enforestés, en Corrèze. Ce don contribuera modestement à soutenir l’action de l’association, qui rachète des forêts (16hectares à ce jour) non seulement pour les soustraire à l’exploitation sauvage des coupes rases mais aussi pour en faire des espaces pédagogiques. L’idée d’y amener des salariés de l’entreprise dans le cadre d’une formation-sensibilisation est alors née.