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“La situation est réversible tant que tiennent certains verrous institutionnels”

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Les visages de l’extrême droite

Le 15 octobre dernier, l’opposition centriste proeuropéenne remportait la majorité parlementaire en Pologne, mettant fin à huit années de gouvernance d’extrême droite, emmenée par le PiS. Frédéric Zalewski, chercheur à l’Institut des sciences sociales du politique, analyse ce cas inédit qui donne des raisons d’espérer.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 31/05/2024 à 09h00

Frédéric Zalewski est chercheur à l’Institut des sciences sociales du politique.
Frédéric Zalewski est chercheur à l’Institut des sciences sociales du politique.© DR

La Pologne a été l’un des premiers pays européens à basculer dans l’extrême droite. Y avait-il un terreau propice à l’émergence du PiS ?

Depuis 1989, la droite conservatrice polonaise n’a eu de cesse de lier l’ordre politique postcommuniste aux injustices ou inégalités sociales ressenties par la population. Sa façon habile de lier entre eux des problèmes hétérogènes lui a permis de dire qu’il fallait totalement refonder l’État et donc de se lancer dans le démontage de l’État de droit.

D’autant que dans le même temps, la montée des inégalités économiques dans les années 2000 a été parfaitement assumée par les libéraux. Le PiS a donc joué sur du velours pour faire du terrain social un catalyseur d’intégration nationale, en proposant par exemple une hausse des allocations familiales de 500 zlotys [une centaine d’euros].

Pour autant, je me méfie des lectures standard qui présentent le PiS comme « de gauche » sur le terrain social. Les mesures redistributives ne sont de gauche que lorsqu’elles servent un projet social lui-même ancré à gauche.

Comment cela s’est-il traduit au quotidien pour la société polonaise ?

Il faut bien comprendre que le PiS s’appuie sur un bloc national-conservateur qui représente de 40 à 50 % de l’électorat, sa cohérence politique lui étant en grande partie donnée par ses accointances avec l’Église. C’est cette vision ethno-confessionnelle de la nation qui l’a conduit à une approche ultraconservatrice des enjeux de société.

Concrètement, le PiS a durci la loi sur l’avortement (malgré les mobilisations de femmes) mais aussi stoppé net toute l’évolution en cours vers les unions civiles pour couples de même sexe. Le PiS a également fonctionné comme une sorte de sas pour des groupuscules plus extrémistes, qui ont pu, entre autres, utiliser la violence de rue contre des marches des fiertés LGBT. On ne peut évidemment pas parler de terreur de masse, mais il est incontestable que les violences extrémistes et parfois policières ont monté en intensité.

“En Pologne, il y a eu un tournant avec les manifestations très imposantes organisées par Tusk en 2023, dont la «Marche du 4 juin».”

En octobre 2023, le règne du PiS prend fin avec le retour de Donald Tusk. Qu’est-ce qui a joué dans ce pays alors que, par exemple, en Hongrie, une coalition similaire a échoué à faire tomber Orbán ?

Il faut rappeler que l’opposition a perdu de nombreuses élections avant cette alternance d’octobre 2023. Il a fallu un long travail aux partis d’opposition pour remédier à leur fragmentation et à leur crise de leadership. En l’occurrence, je ne pense pas que la Hongrie compte de leader d’opposition de la même envergure, nationale et européenne, que Donald Tusk. Pendant leurs huit ans d’opposition, les partis libéraux et/ou proeuropéens polonais ont également éprouvé des difficultés à être le débouché de toutes les revendications de la société civile. Mais il y a eu un tournant avec les manifestations très imposantes organisées par Tusk en 2023, dont la « Marche du 4 juin ».

Plus globalement, le cas polonais montre clairement que la situation est réversible tant que tiennent certains verrous institutionnels, liés à l’indépendance de la justice et à la sincérité de l’ensemble du processus électoral. Mais aussi que l’appartenance à l’Union européenne fournit un répertoire de normes et d’instances de défense de l’État de droit (comme le Conseil de l’Europe ou la Cour de justice de l’Union européenne) cruciales pour montrer à l’opinion que les partis prodémocratie restent une alternative crédible et réelle.

Six mois après le scrutin qui a renvoyé le PiS dans l’opposition, quels sont les défis du pays ?

La mise en conformité avec l’ordre juridique de l’UE peut prendre un peu de temps, car le PiS a légué une sorte de chaos juridique assez inextricable, mais ce n’est pas insurmontable. En revanche, la cohésion de la majorité est plus aléatoire à terme. Elle reste fragile sur la question de l’avortement, qui est centrale pour la gauche de la coalition. Et la perspective de la présidentielle en 2025 laisse présager des tensions, en tout cas des stratégies de différenciation entre ces partis de la coalition.