Temps de lecture 6 min
Extrait de l’hebdo n°3923
Pour la première fois depuis 2003, une séance spéciale sur la situation des travailleurs dans les territoires arabes occupés se tenait à la Conférence internationale du travail, dans un climat de haute tension.
Dans la salle des droits de l’homme et de l’alliance des civilisations du palais des Nations, l’ambiance était particulièrement pesante ce 6 juin. La séance spéciale dédiée à la situation des travailleurs dans les territoires arabes occupés a agité les esprits. La sécurité du site a d’ailleurs été renforcée. « Évidemment, on craint les dérapages », glisse un observateur. Cruauté de l’ordre alphabétique : la République islamique d’Iran a été placée à côté d’Israël, faisant encore monter la tension d’un cran. Le choix d’une telle discussion fait suite à la décision du conseil d’administration de l’OIT qui, en mars dernier, a recommandé que l’Annexe au rapport du directeur général soit discutée lors d’une séance spéciale de la Conférence internationale du travail, une première depuis 2003.
1. Elle reconnaît l’obligation solennelle de l’OIT à seconder la mise en œuvre de programmes propres à offrir « une protection adéquate de la vie et de la santé des travailleurs dans toutes les occupations ».
Quatre-vingts ans après la déclaration de Philadelphie1, l’OIT se doit de « trouver des solutions viables et les moyens de rétablir la justice pour les travailleurs », affirmait en introduction le directeur général de l’Organisation, Gilbert F. Houngbo. Évoquant l’année écoulée comme « la plus difficile pour les travailleurs palestiniens depuis 1967 », il décrit dans son rapport un marché du travail anéanti par la perte 200 000 emplois depuis octobre 2023, ce qui équivaut à plus des deux tiers de l’emploi total dans l’enclave palestinienne.
« Dans le sillage des horribles atrocités commises par le Hamas contre Israël et de la guerre implacable menée par Israël, le marché du travail à Gaza s’est littéralement effondré. Gaza est en ruines. Les moyens de subsistance sont anéantis, les droits du travail ont été décimés », a déclaré M. Houngbo. Son rapport prévoit un certain nombre de recommandations, notamment en vue de la reconstruction de la Palestine et son redressement par la promotion du travail décent. « Mais rien ne sera possible tant que la guerre continuera et que les otages ne seront pas libérés. »
Une situation sociale désastreuse
Au total, 75 intervenants se sont succédé à la tribune. Gouvernements, travailleurs et employeurs ont tour à tour décrit « la situation dramatique dans laquelle se trouvent les travailleurs palestiniens, à Gaza comme en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est [et qui] ce faisant, place notre organisation devant ses responsabilités », résumait la France par la voix de son représentant permanent aux Nations unies.
L’intervention des travailleurs palestiniens – laquelle reprend à son compte les conclusions du rapport du directeur général, selon qui « il ne saurait y avoir de justice sociale sous l’occupation » – aura été longuement applaudie par les délégués… quand, deux interventions plus tard, les deux tiers de la salle se sont vidés au moment de la prise de parole d’Israël. La Palestine, première à s’exprimer, exhorte l’OIT à mettre en place d’urgence une commission spéciale technique sur le terrain et à créer une commission de liberté de déplacement des travailleurs afin qu’Israël cesse de « violer toutes les conventions nationales du travail ».
Une solution politique ?
Au-delà de la situation sociale, la très grande majorité des intervenants s’inquiète de « la situation humanitaire des déplacés qui renforce le sentiment d’urgence et de responsabilité qui est le nôtre, plaide le groupe des travailleurs. Nous avons besoin de la solidarité internationale et d’une assistance substantielle pour les Palestiniens et leurs familles sous l’égide de l’ONU. » Mais aussi, à plus long terme, d’une solution politique. Une solution à deux États, avec la reconnaissance d’un État palestinien « soutenable, viable, indépendant et démocratique ». Cette position est largement partagée par la CFDT, selon qui « la seule voie possible pour casser la spirale de violence est une réponse politique visant à la construction d’une paix juste et durable avec la pleine application des résolutions de l’ONU et la mise en œuvre de la solution à deux États ».
Alors que la France a voté, fin mai, à l’Assemblée générale de l’ONU en vue de conférer de nouveaux droits à la Palestine au sein des Nations unies, elle doit aller plus loin et emboîter le pas à l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, qui ont récemment reconnu unilatéralement l’État palestinien. La CFDT appelle ainsi le gouvernement français à « reconnaître la Palestine comme un État et le droit des Palestiniens à l’autodétermination », réitérait Béatrice Lestic, secrétaire nationale CFDT et vice-présidente de la Conférence internationale du travail. Quelques heures plus tard, dans une intervention télévisée, Emmanuel Macron fermait la porte à cette idée, estimant qu’il n’était « pas raisonnable de le faire maintenant ».
Programme d’action
En réponse à la crise dans les territoires palestiniens occupés, l’OIT a lancé un programme d’intervention d’urgence de 20 millions de dollars en vue d’atténuer l’impact de la guerre sur les travailleurs et les employeurs palestiniens. Elle soutient actuellement les travailleurs palestiniens de Gaza bloqués en Cisjordanie et a lancé un programme d’emplois d’urgence avec le Programme des Nations unies pour le développement afin de soutenir les personnes les plus touchées à Gaza.