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Extrait de l’hebdo n°3919
Depuis une dizaine d’années, l’Europe sociale gagne peu à peu du terrain. Plusieurs directives ont été adoptées récemment. Des signes encourageants mais encore fragiles tant les questions économiques prédominent. Pour la CFDT, la prochaine mandature doit être l’occasion de renforcer cette dynamique.
1. Regroupés en trois chapitres : égalité des chances, conditions de travail et protection sociale.
Les questions sociales n’ont pas toujours eu bonne presse en Europe. Après la « parenthèse enchantée » de la Commission Delors (1985-1994) qui est parvenue à imposer les organisations syndicales au niveau européen, il a fallu une crise financière mondiale (2008-2011) pour que l’Union remette en question son approche du tout-économique et que le social fasse timidement son retour à Bruxelles. Un retour qui s’est finalement concrétisé par l’adoption, en 2017, au sommet de Göteborg (Suède), d’un socle européen des droits sociaux, texte majeur qui édicte 20 grands principes1 censés servir de boussole « sociale » aux 27 pays de l’Union. Même si ce socle n’est pas juridiquement contraignant, il marque le tournant pris par l’Union après des années de néolibéralisme.
Jusqu’à présent, cette ligne politique n’a pas été remise en question. Plusieurs directives ont ainsi pu être révisées ou adoptées au cours de la dernière mandature. Citons notamment la révision de la directive sur le travail détaché effective depuis le 30 juillet 2020, la directive sur le salaire minimum adoptée le 19 octobre 2022, la directive sur la transparence des rémunérations et l’égalité salariale entre les femmes et les hommes adoptée le 10 mai 2023, ou encore, tout récemment, la directive sur les travailleurs des plateformes et la directive sur le devoir de vigilance qui s’engage à responsabiliser les grandes entreprises vis-à-vis de leurs sous-traitants partout dans le monde, adoptées le 24 avril 2024. Si le social reste une prérogative nationale et qu’il n’est pas question d’harmoniser les législations au niveau européen, force est de constater que la Commission, le Parlement et le Conseil sont parvenus à faire bouger les lignes en matière sociale.
Davantage de solidarité
Chacune des crises vécues par l’Union européenne (la déroute financière, le Covid ou encore la guerre en Ukraine) aura finalement permis d’avancer vers davantage de solidarité à l’échelle du continent. « Lors de cette mandature, on a vu des textes ambitieux proposés par la Commission européenne, le plus souvent soutenus par la majorité du Parlement européen, constate Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT. Outre le socle des droits sociaux, citons aussi le Pacte vert (Green Deal), le dispositif de réassurance chômage SURE ou bien le fonds mutualisé NextGenerationEU. Autant de mesures qui ont permis à l’UE d’avancer vers plus de justice sociale, plus de solidarité et plus de durabilité. » Président du Mouvement Européen, Hervé Moritz partage ce constat. « Cette mandature a permis des avancées significatives en matière sociale, assure-t-il. La révision de la directive sur le travail détaché en est un bon exemple. L’Union a été capable de prendre à bras-le-corps ce sujet et à mettre un frein aux dérives que l’on constatait. Le sujet est d’ailleurs beaucoup moins présent dans la campagne cette fois-ci. »
Ce dynamisme sur les questions sociales pourrait cependant connaître un sérieux coup de frein, selon les résultats des prochaines élections. Les derniers sondages indiquent, jusqu’à présent, une poussée des partis les moins enclins à avancer sur ces questions. Les négociations risquent d’être plus compliquées au sein du futur Parlement. Et si l’Union européenne devrait encore disposer d’une majorité progressiste, le risque de blocage sur bien des sujets est réel. « L’enjeu de la prochaine mandature va être la mise en œuvre du Pacte vert, souligne Hervé Moritz. L’Europe a voté de nombreux textes pour engager une transition écologique au niveau du continent, mais elle doit à présent travailler sur l’accompagnement social de cette transition si elle veut obtenir des résultats tangibles. »
Le dossier s’annonce compliqué tant le budget de l’Union est limité, alors que les besoins sont immenses. L’idée d’un nouvel emprunt pour financer la transition est dans l’air, mais rien n’est acté pour le moment. Pour la CFDT, il est urgent que l’Union dispose de nouvelles ressources afin de jouer pleinement son rôle. Elle appelle à la mise en place d’une fiscalité plus juste et soutient notamment le mouvement « Tax the Rich », qui demande un impôt européen sur les grandes fortunes.
Progressisme et refus de l’extrême droite
De manière plus globale, la CFDT inscrit son action dans celle de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui a publié un manifeste (à télécharger ci-dessous) à l’occasion de ces élections et demande aux candidats de s’engager sur douze revendications phares, à même de construire une Europe « plus juste et plus sociale ». Emplois, revenus, conditions de travail, dialogue social ; service public mais aussi transition juste et politique migratoire plus humaine… Les revendications portées par l’ensemble des organisations syndicales européennes (qui représente plus de 45 millions de travailleurs) ne souffrent d’aucune ambiguïté. Elles sont résolument progressistes et tournées vers la solidarité entre les États et entre les travailleurs.
Le refus des partis d’extrême droite est également clairement affiché. « Nous appelons les partis, les mouvements et les travailleurs à repousser la menace de l’extrême droite, qui prétend malhonnêtement soutenir les travailleurs quand, en réalité, elle attaque leurs syndicats et leurs droits démocratiques », assure la CES dans ce manifeste qui appelle à construire une Europe « que nous serons fiers de transmettre aux générations futures ». Un bien beau programme et une excellente raison de se rendre aux urnes le 9 juin prochain. « L’abstention fait le jeu de l’extrême droite », rappelle encore une fois Marylise Léon.