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Extrait de l’hebdo n°3933
Le futur gouvernement va devoir s’atteler au budget 2025 alors que l’économie française montre des signes de ralentissement. Un véritable casse-tête vu l’état des finances publiques. Tout l’enjeu est d’éviter qu’une politique de rigueur n’ajoute de la crise à la crise.
Alors que l’Allemagne apparaît depuis plusieurs mois comme l’homme malade de l’Europe, la France donnait à l’inverse le sentiment de s’en sortir plutôt bien sur le plan économique. Depuis la période Covid, notre pays n’a pas connu de période de récession (contrairement à son voisin) et l’emploi s’est maintenu, déjouant par là même les prévisions des économistes. De plus, les Jeux olympiques ont été une réussite, et cette belle fête populaire a permis d’augmenter (un peu) les chiffres de la croissance. Selon l’Insee, la croissance française pour 2024 devrait finalement être légèrement supérieure à 1 %. Cependant, personne n’est dupe : les prochains mois risquent d’être compliqués sur le front de l’économie.
Des signes d’essoufflement
De fait, les signes d’un essoufflement ne cessent de s’accumuler. Ainsi, l’emploi intérimaire recule pour le sixième trimestre consécutif, souligne le ministère du Travail dans une note publiée à la fin août. Sur un an, le recul de l’emploi intérimaire est de 6,4 % : 9,6 % dans l’industrie, 6,8 % dans la construction et 3,7 % dans le secteur tertiaire. En outre, cette baisse se révèle plus nette au deuxième trimestre qu’elle ne l’était au premier.
Le nombre de défaillances d’entreprise se trouve également au plus haut. Il atteint des niveaux que la France avait connus pendant la crise du début des années 90 et celle de 2008. « Les entreprises ont été massivement aidées pendant la période Covid. Certaines ont été maintenues en vie de manière totalement artificielle. Le grand nombre de défaillances d’entreprises aujourd’hui s’explique partiellement par une forme de rattrapage et un nombre très élevé de création d’entreprises. Une autre partie de l’explication vient du ralentissement de l’économie », indique Xavier Guillauma, secrétaire confédéral CFDT chargé de l’industrie. Peut-être plus inquiétant encore, la période est marquée par une baisse des investissements de la part des entreprises. « Or qui dit investissements en baisse dit points de croissance en moins à l’avenir », résume Paul Busi, secrétaire confédéral CFDT chargé des questions macroéconomiques.
Le creusement du déficit
1. La présentation du budget devrait finalement être décalée de huit jours, une première sous la Ve République.
C’est dans ce contexte économique incertain que le nouveau gouvernement formé par Michel Barnier devra s’atteler dans l’urgence au budget 20251. Un exercice à haut risque vu l’état des finances du pays. Selon les dernières annonces gouvernementales, le déficit pourrait atteindre 5,6 % en 2024 (alors que notre engagement européen est de 3 % au maximum), et la dette 112 % du PIB (l’engagement européen implique 60 %). L’ampleur du dérapage a surpris tout le monde, y compris les fonctionnaires de Bercy. Les marges de manœuvre s’avèrent donc très limitées. Selon l’économiste Michaël Zemmour, la solution passe aujourd’hui par l’augmentation des recettes : « Depuis 2017, la stratégie de l’exécutif a été de baisser fortement les recettes publiques pour créer de la croissance. Or cette politique de l’offre a conduit à creuser les déficits et n’a pas eu les effets attendus sur l’économie. » Afin de pouvoir soutenir l’activité dans les prochains mois, il appelle à un changement de logiciel. « Nous sommes de plus en plus nombreux à insister sur ce point. Même au sein des partis politiques du centre et de la droite, des voix s’élèvent pour réclamer de nouvelles recettes car nous n’avons plus les moyens de dépenser à crédit. »
Plusieurs pistes sont aujourd’hui sur la table en vue d’augmenter les ressources publiques : taxation des très hauts patrimoines, c’est-à-dire le retour d’une forme d’impôt sur la fortune, remise en question de différentes niches fiscales (exonérations de cotisations sur les salaires, crédit impôt recherche, etc.) ou encore réforme de l’impôt sur le revenu. « Si le gouvernement décide de réduire les déficits sans se donner de nouvelles ressources, l’économie française risque de ralentir très fortement. Autrement dit, une politique de rigueur risque d’ajouter de la crise à une situation qui n’est déjà pas très bonne. »
La conditionnalité des aides
Selon la CFDT, cette période compliquée sur le plan économique justifie que l’on avance sur le dossier de la conditionnalité des aides aux entreprises. Il ne s’agit pas de les supprimer de manière aveugle mais d’exiger des contreparties supportées par les entreprises en matière de politique salariale, de qualité de l’emploi ou d’investissements dans la transition écologique. « Augmenter les salaires, et surtout les petits salaires, a un effet immédiat sur la croissance, explique Paul Busi. Or il y a aujourd’hui des secteurs qui ont augmenté fortement leurs marges et peuvent faire cet effort sans se mettre en difficulté. »
Autre piste privilégiée par la CFDT : relancer les négociations de branche, que ce soit en matière de salaires ou de classifications. « Le patronat doit enfin se décider à jouer le jeu de la négociation comme il s’y était engagé – par exemple dans le cadre de l’accord sur le partage de la valeur ajoutée, s’agace le secrétaire national Luc Mathieu en constatant le peu d’entrain des branches professionnelles à engager de vraies discussions. Quand il y a moins d’argent public disponible pour soutenir l’activité, il faut être d’autant plus exigeant avec l’argent que l’on flèche vers les entreprises. » De nouvelles recettes permettraient par ailleurs d’aborder la question de la fonction publique sous un autre angle et d’éviter que les agents fassent à nouveau les frais d’une politique de rigueur.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le Premier ministre n’a pas encore fait connaître ses intentions, et l’on ne connaît pas encore l’identité des membres de son gouvernement. La CFDT espère que la crise politique pourra être surmontée, au moins momentanément, afin que ces enjeux économiques fondamentaux puissent être posés et discutés sereinement lors des futurs débats budgétaires.