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Anatomie d’une chute
Avec un point d’indice gelé depuis assez longtemps, les agents des trois fonctions publiques ne sont pas à la fête question rémunération. Une politique de primes et quelques mesures ciblées ont permis de maintenir leur pouvoir d’achat, mais le retour en force de l’inflation vient rompre cet équilibre précaire.
Parler de la fonction publique en général est toujours un exercice périlleux tant les différences sont manifestes entre la fonction publique de l’État, l’hospitalière et la territoriale. Et même au sein des trois, les disparités sont fortes. À l’État, par exemple, une moitié des agents sont des enseignants dont la rémunération n’a rien à voir avec les autres agents de catégorie A dans les différents ministères. Alors que les primes représentent aujourd’hui une part importante de la rémunération de ces cadres, les enseignants, eux, ont très peu de primes et apparaissent comme la catégorie de personnel qui a le plus perdu en pouvoir d’achat ces dernières années (lire notre article : Enseignants, les grands perdants).
Un pouvoir d’achat stable
Quelques chiffres fournis par l’Insee permettent tout de même de se faire une idée générale de la situation. Si l’on prend l’ensemble de la fonction publique, le salaire net moyen est de 2431 euros (contre 2524 euros dans le privé). Avec plus de cadres dans la fonction publique d’État, le salaire moyen net est plus élevé, il s’établit à 2688 euros ; à l’hospitalière, il est de 2590 euros ; à la territoriale, il plafonne à 2039 euros.
De 2009 à 2019, ces salaires ont plus ou moins suivi le rythme de l’inflation. « Pendant cette décennie, le point d’indice a été gelé, sauf en 2016 et 2017. Même s’il n’y avait pas beaucoup d’inflation, cela a eu un impact sur le pouvoir d’achat des agents, résume Fabien Guggemos, statisticien et responsable de la division Salaires et revenus d’activité à l’Insee. Le pouvoir d’achat du privé dans la même période a progressé de 4,5 %. »
Le pouvoir d’achat n’a, en revanche, pas résisté à l’inflation de ces deux dernières années. En 2022, alors que la hausse des prix atteint les 5,2 %, le point d’indice n’est réévalué que de 3,5 % au 1er juillet (donc pour six mois seulement). La perte de pouvoir d’achat a été en moyenne d’un point. Comble du comble, l’histoire se répète en 2023. Alors que les prévisions annoncent une inflation autour de 5 % sur un an, le point d’indice est revalorisé de 1,5 % au 1er juillet. Autant dire que les négociations avec le ministère de la Fonction publique sur les rémunérations s’annoncent tendues. Pour la CFDT-Fonctions publiques, une mesure importante et générale sur le point d’indice s’impose en urgence, avant toutes discussions plus fines sur les grilles et les évolutions de carrière.
Peu dynamiques, les salaires dans la fonction publique ont tout de même le mérite d’être beaucoup plus justes socialement si on les compare à ceux du privé. L’écart entre les hautes et les basses rémunérations y est plus faible. Les chiffres ne laissent pas de place au doute. Si l’on prend le premier décile (les 10 % de salariés les moins bien rémunérés), leur revenu net moyen est de 1 340 euros dans le privé et de 1 480 euros dans le public. Et si l’on prend le dernier décile (les 10 % les mieux rémunérés), on obtient l’inverse. Le revenu moyen est de 3 450 euros dans le public contre 4 030 euros dans le privé.
1. Deux millions de travailleurs et des poussières – L’avenir des emplois du nettoyage dans une société juste. François-Xavier Devetter et Julie Valentin, éditions Les Petits Matins, 156 pages, 2021.
« Les écarts de salaires entre le public et le privé sont certainement plus importantes que ce qu’indiquent les chiffres de l’Insee car ces chiffres s’entendent pour un emploi à temps plein, ajoute l’économiste François-Xavier Devetter. Or on sait pertinemment que sur les bas salaires, la différence ne se fait pas sur le montant horaire, car le Smic unifie très fortement les rémunérations entre le public et le privé. La différence se fait surtout sur le temps de travail. » Pour ce spécialiste (par ailleurs auteur d’une enquête sur les salariés du secteur du nettoyage) 1, le fait qu’une grande partie de ces emplois peu qualifiés passe du public au privé (sous-traitance, recours à des contractuels) a donc des répercussions dramatiques en termes de précarité.
Plus d’emplois à temps plein
« Non seulement la fonction publique offre davantage d’emplois à temps plein pour les emplois peu qualifiés, mais en plus elle génère moins d’inégalités entre les femmes et les hommes », insiste-t-il. À temps de travail égal, les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes sont en effet de l’ordre de 10 % dans la fonction publique, contre 16 % dans le privé. Et à métier égal, l’écart est de 3 % dans le public contre 5 % dans le privé.
« Le rôle qu’avait la fonction publique d’employeur d’une main-d’œuvre modeste mais aux conditions de travail décentes est en train de s’éroder, avec comme conséquence la bascule d’une partie des salariés dans la pauvreté laborieuse », résume-t-il. Cette politique, coûteuse humainement (exclusion) et économiquement (chômage, prime d’activité, etc.), apparaît comme un véritable gâchis. Pourtant, cette bascule ne semble pas remise en cause par le politique. « Il y a une vraie méfiance envers l’emploi public, même si les problèmes d’attractivité des métiers, notamment dans la santé, va peut-être changer la donne en poussant les pouvoirs publics à agir ». La CFDT attend des actes, à présent.
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