Cinq ans après l’ANI, quelles avancées pour la santé et la sécurité au travail ?

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icone Extrait de l'hebdo n°3963

Réunis au ministère du Travail et de l’Emploi à l’occasion de la journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, les cinq organisations syndicales représentatives, le Medef et la CPME ont partagé un état des lieux de la santé au travail post-ANI 2020. Un échange plus que nécessaire au vu de la sinistralité qui demeure élevée dans notre pays.

Par Claire NillusPublié le 29/04/2025 à 12h00

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© Laurent Grandguillot/RÉA

Chaque 28 avril, les syndicats se mobilisent dans le monde entier afin d’alerter sur les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. L’OIT (Organisation internationale du travail) dénombre ainsi trois millions de morts par an d’accidents ou de maladies liées au travail. En Europe, c’est l’enquête d’Eurofound sur les conditions de travail qui permet de documenter la situation dans 35 pays (tous les États membres de l’UE plus la Norvège, la Suisse, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine du Nord et la Serbie). Et elle classe la France en mauvaise position par rapport à ses voisins. « Dans notre dernière enquête, il apparaît que 39 % des Français disent que leur travail menace leur santé. C’est 5 points de plus que la moyenne européenne », précise Agnès Parent-Thirion, d’Eurofound.

Avec le souci d’être la plus objective possible, l’enquête évalue ces risques au regard des ressources mises en œuvre pour les réduire. Or, cet indicateur montre de nouveau des faiblesses côté français. « On ne sait pas si les Français sont plus râleurs ou insatisfaits mais ils sont cohérents dans leurs réponses », constate Agnès Parent-Thirion. Quant aux chiffres relatifs à la sinistralité de l’Assurance maladie, ils ne disent pas autre chose. Dans son rapport 2023, elle recense 772 784 accidents de travail et 125 978 maladies professionnelles déclarés ainsi que 1 287 décès – soit 60 de plus qu’en 2022, un peu plus de trois morts par jour. Le cas est particulièrement critique parmi les moins de 25 ans, avec plus de 60 % des décès survenus dans la première année de prise de poste.

Remettre la prévention au cœur du système

En préambule de l’accord de 2020, les partenaires sociaux étaient résolus à mettre la prévention des risques professionnels au cœur du système de santé au travail. « Le dispositif de santé au travail en France, à travers ses politiques publiques et institutionnelles, a trop longtemps été centré sur la réparation, au détriment d’une approche positive donnant la priorité à la prévention primaire », écrivaient-ils. Une évolution de l’organisation du système de santé au travail devenait alors « une condition essentielle pour que les entreprises (les employeurs, les salariés et leurs représentants) puissent s’approprier plus facilement les bonnes pratiques de la culture de prévention et que les règles en matière de santé et sécurité au travail soient mieux comprises, mieux appliquées et mieux suivies ».

L’accord rappelle les obligations légales qui pèsent sur l’employeur et « le principe de l’adaptation du travail à l’homme », qui constitue la base de la prévention primaire. Il réaffirme la nécessité de favoriser le repérage précoce des risques de désinsertion professionnelle, d’assurer un meilleur suivi des expositions tout au long de la vie professionnelle et prône la mise en place d’un dialogue social renforcé sur tous ces sujets.

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© Syndheb

« Cet ANI est une boussole pour faire de la prévention », résumait, ce 28 avril, Isabelle Mercier, secrétaire nationale de la CFDT, lors d’une table ronde organisée au ministère avec les partenaires sociaux. Mais les moyens manquent, et il est difficile d’en mesurer les effets.

Des difficultés d’appropriation

Cinq ans après la signature de l’ANI, les organisations syndicales continuent de dénoncer la disparition des CHSCT1, le manque de médecins du travail et d’inspecteurs du travail, l’absence de Duerp2 dans la moitié des entreprises françaises, le recul de l’âge de départ à la retraite sans prise en compte de l’usure professionnelle… Enfin, ajoutait Éric Gautron, de Force ouvrière, les entreprises ont encore du mal à s’approprier la réforme de la santé au travail. « Nous devons faire de la pédagogie. La visite de mi-carrière est peu pratiquée, pas plus celle de post-exposition ou de fin de carrière. L’offre de prévention collective de médecine du travail est encore mal connue. »

Selon la CFTC, « l’ANI a ouvert la voie mais il faut faire mieux. La culture de la prévention n’est toujours pas assez développée, et la gouvernance de la santé au travail est en panne. Nous appelons à transformer la commission AT-MP de la Sécurité sociale en une branche autonome avec un conseil d’administration qui pourrait être le pilote de la santé au travail en France. Tous les partenaires sociaux le demandent ».

Le dialogue social ne fonctionne pas sur tout

Dans ce contexte, le paritarisme a tenu bon. Après l’ANI de 2020, les partenaires sociaux ont signé un ANI AT-MP en 2023, qui acte de nouveaux droits pour les victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle… mais les décrets d’application, eux, se font toujours attendre. « Il faut que le législateur fasse confiance au dialogue social. Nous avons été capables de travailler tous ensemble ces dernières années ; maintenant, il faut que toutes nos décisions soient mises en œuvre », a lancé Maxime Legrand, de la CFE-CGC, à l’adresse de la ministre.

« Le dialogue social a fonctionné et continue de vivre avec le comité de suivi de l’ANI de 2020, a poursuivi Isabelle Mercier. Nous travaillons sur la place des organisations syndicales (qui n’est pas totalement claire) dans la gouvernance des services de prévention et de santé au travail ou encore sur la mise en place d’un Duerp genré puisque les risques ne sont pas visibles de la même manière selon que l’on est un homme ou une femme. Cependant, le bilan de cet ANI relatif à la prévention renforcée montre que le dialogue social doit vivre davantage dans les entreprises et les administrations. »

Maintenir les salariés en emploi, la priorité

Le souci numéro un, c’est de maintenir les salariés en emploi, qu’ils puissent bénéficier d’un bilan de santé et, le cas échéant, une adaptation de leur poste de travail. « Or la désinsertion professionnelle, également au sommaire du comité de suivi de l’ANI, est peu traitée par les entreprises et les services de santé au travail. »

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

C’est pourquoi la formation des cadres – et des salariés – dans le domaine de la santé au travail était un axe important de l’accord, rappelle la secrétaire nationale CFDT. Plus que jamais, la formation est devenue incontournable car les transformations du travail en cours (intelligence artificielle, adaptation au réchauffement climatique…) ne se feront pas sans les travailleurs. Sur ce point, il y a consensus. La qualité du travail s’impose comme un sujet majeur quand il s’agit d’accompagner les transitions actuelles.

“Le live des militants”, la parole du terrain

En matière de santé et de sécurité au travail, l’action syndicale apporte de réelles avancées. C’est ce dont ont pu témoigner les différents participants au « live des militants » organisé par la Confédération le 28 avril. Dans son entreprise de paysagisme et espaces verts, Terideal (dont les multiples agences sont réparties sur l’ensemble du territoire national), Matthieu Philippe, secrétaire de la CSSCT3, présente son travail d’enquête visant à relever les situations de travail de l’ensemble des chantiers. Des améliorations en matière d’équipements ou de mesures de prévention ont pu ainsi être apportées.

Isabelle Jarry, déléguée syndicale d’une entreprise de maroquinerie de luxe employant 1 250 salariés, détaille comment sa section a engagé une démarche de prévention de la pénibilité. Dans ce secteur très exposé aux risques de troubles musculosquelettiques, la CFDT a accompagné la mise en place d’une organisation de travail fondée sur la polyvalence. Enfin, Sonia Testud, responsable du dossier santé au travail à la CFDT Santé-Sociaux, a éclairé les participants sur le travail de prévention des cancers du sein d’origine professionnelle.

Emmanuelle Pirat