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Extrait de l’hebdo n°3899
Deux mois après avoir défilé à Paris, les affiliés de la Confédération européenne des syndicats (CES) se retrouveront à Bruxelles alors que les élus européens débattent des nouvelles règles de gouvernance économique, avec un risque de retour de diverses mesures d’austérité. La CFDT et la CES appellent au contraire à plus de solidarité et à des investissements publics massifs dans l’éducation, la santé et la transition écologique juste.
À quelques jours d’une rencontre cruciale des ministres européens des Finances (le 8 décembre) et d’une réunion du Conseil européen (les 14 et 15 décembre), la secrétaire nationale Béatrice Lestic alerte les élus français du Parlement européen dans un courrier daté 28 novembre. « La révision des règles de la gouvernance économique est indispensable pour mener des politiques publiques européennes et nationales plus justes et durables en lien avec les besoins et les attentes des Européennes et des Européens. La CFDT exprime toute sa préoccupation concernant certaines orientations en discussion au sein du Parlement européen ainsi qu’au sein du Conseil. »
Les orientations en question, c’est le retour de la logique comptable fondée sur des paramètres standardisés qui ne prennent pas en compte les spécificités et les besoins de chaque État. « Cela nécessiterait des coupes monstres [dans les budgets nationaux] dès leur entrée en vigueur afin de réduire la dette, pour ensuite poursuivre dans cette trajectoire de réduction », explique Kristian Bongelli, secrétaire confédéral du service international-Europe de la Confédération. La CFDT propose que la trajectoire de réduction du déficit se fasse au cas par cas et qu’elle soit négociée directement entre un État membre et la Commission européenne. « Afin d’éviter les inégalités entre États et d’aller vers une Europe à deux vitesses, elle devra prendre en compte la situation sociale et environnementale de départ », poursuit Kristian Bongelli.
45 milliards d’euros de coupes budgétaires ?
Si les règles d’austérité venaient à être imposées, d’après les estimations de la CES, ce serait 45 milliards d’euros d’économie que devraient trouver 14 des 26 États membres, dont 13,3 milliards pour la France, 2,7 milliards pour la Belgique ou encore 6,6 milliards pour l’Espagne. « Un retour à l’austérité l’année prochaine se traduirait par plus de pauvreté, moins d’emplois, des salaires plus bas et des services publics sous-financés, ce qui affecterait l’accès des personnes aux soins et à l’éducation », alerte Esther Lynch, secrétaire générale de la CES.
« Cette révision doit prendre en compte les intérêts des travailleuses et des travailleurs concernant un meilleur et plus juste partage de la valeur, des services publics de qualité, homogènes sur le territoire et suffisamment financés, une transition écologique et numérique juste permettant d’accompagner notamment les travailleurs et les ménages les plus vulnérables, des investissements publics à hauteur des défis sociaux, sociétaux et environnementaux auxquels l’Europe et la France sont aujourd’hui confrontées », prévient Béatrice Lestic.
Selon la CFDT, il est essentiel de « garantir la marge de manœuvre budgétaire afin de sanctuariser les investissements publics, notamment pour des services publics de qualité et pour la réalisation des objectifs du Socle européen des droits sociaux et du Pacte vert ainsi que des Objectifs de développement durable de l’agenda 2030 ».
Éviter les mauvaises recettes du passé
« La réponse solidaire de l’Union européenne face à la pandémie a montré ce qu’il était possible de faire. Il est essentiel d’investir en vue de préserver l’emploi et les revenus des travailleurs, poursuit Kristian Bongelli. Nous devons continuer dans cette direction, nous n’avons pas besoin d’un retour aux recettes ratées du passé. »
Alors que les élections européennes approchent – en France, elles auront lieu le dimanche 9 juin 2024 –, la CFDT appelle les élus à prendre leurs responsabilités et à mesurer les conséquences de leur décision. « Un éventuel compromis a minima, pérennisant la logique de la consolidation budgétaire à tout prix comme dogme pivot de la gouvernance économique de l’UE, serait dangereux autant sur les plans économique et social que démocratique. Ces nouvelles règles seront scrutées par les citoyennes et citoyens en amont des élections européennes de juin 2024. »
Ces préoccupations, la CFDT et son homologue allemand de la DGB les ont par ailleurs portées dans un communiqué commun à l’attention d’Elisabeth Borne et du chancelier allemand Olaf Scholtz. « Nous pensions qu'une réforme aussi essentielle pour l'UE ne peut être négociée sous la pression du temps et sans organiser un véritable débat public dans les Etats membres de l'UE. C'est pourquoi nous appelons les gouvernements allemands et français à s'assurer que le Conseil prendra le temps nécessaire pour les négociation, » mentionne le communiqué.
Par ailleurs, l’absence de prise en compte de la dimension sociale des mesures économiques pendant des années, outre le fait qu’elle a participé au creusement des inégalités, a créé des « monstres » sur le plan démocratique. « Le sentiment de méfiance vis-à-vis des institutions européennes et du projet d’intégration européenne a atteint son climax, favorisant le repli nationaliste mais aussi la montée de l’extrême droite et des mouvements populistes anti-euro et anti-UE, culminant avec le Brexit », rappelle Kristian Bongelli.
Dans les différentes régions, la CFDT se mobilise
Venant de Metz, Reims ou Troyes, 150 militants de la CFDT-Grand Est seront présents le 12 décembre et feront entendre ces revendications sans oublier de rappeler la nécessaire solidarité entre États européens. C’est d’ailleurs une évidence pour Dominique Toussaint, secrétaire général de la CFDT-Grand Est, alors que la dimension européenne et transfrontalière fait partie intégrante du quotidien de la région. Même son de cloche dans les Hauts-de-France, où une centaine de militants CFDT afflueront d’Abbeville, de Beauvais, Calais, Laon ou Saint-Omer. « Nous voulons faire entendre le ras-le-bol des travailleurs face à l’austérité et l’inflation », détaille Christophe Bouchindomme, secrétaire général adjoint de la CFDT des Hauts-de-France.
« C’est important de se mobiliser à moins de sept mois des élections, de montrer que le mouvement syndical européen est présent pour faire entendre la voix des travailleurs et des travailleuses », explique Diego Melchior, secrétaire général de la CFDT-Île-de-France. Cette union régionale enverra elle aussi une centaine de militants marcher dans les rues bruxelloises aux côtés de leurs homologues européens.
« Si ces questions peuvent parfois paraître éloignées des préoccupations des citoyens, des militants et adhérents, il est essentiel de se mobiliser. Si on revient au dogme des politiques budgétaires restrictives, cela aura des impacts sur les politiques publiques nationales, sur la vie des Français et des travailleurs ; c’est au nom d’une logique purement paramétrique que l’on subit une réforme des retraites. À l’heure où les inégalités se creusent à l’intérieur des pays et entre les pays, le seul prisme budgétaire n’est pas la solution. Il faut des investissements massifs, et l’UE est le niveau pertinent pour cela », affirme Béatrice Lestic.
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