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Mon travail idéal
Sociologue au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), Maëlezig Bigi voit dans la notion de bonheur au travail une approche managériale très individualiste qui ne saurait être une réponse satisfaisante pour les salariés.
Que vous inspire cette notion de bonheur au travail ?
Rappelons tout d’abord que tout ce qui est dit et fait autour de ce bonheur au travail – la mise en place d’un Chief Happiness Officer, par exemple – ne concerne que les grands groupes (les PME ou TPE en sont très largement exclues) et une fraction très minoritaire de travailleurs, les moins précaires, pour lesquels ce sont avant tout des enjeux de fidélisation qui priment. Il faut donc en relativiser l’importance.
Cela posé, il me semble que cette approche du travail en terme de « bonheur » s’inscrit dans un mouvement d’individualisation de l’analyse des rapports au travail et des pratiques de prévention des employeurs. Face aux situations de stress, aux risques psychosociaux, on voit se développer les « tickets psy », des séances d’« écoute confidentielle », des propositions de sophrologie, de yoga, et toute une armée de coachs en tout genre, etc., comme autant de réponses individualisantes.
Cela réactualise quelque chose de très ancien qui est l’hygiénisme : il s’agit d’adapter les travailleurs aux risques, de les « équiper » davantage pour y faire face plutôt que de supprimer ou d’atténuer les risques du travail.
Il faut donc revenir à des enjeux plus collectifs ?
Oui. De mon point de vue, l’employeur devrait moins se préoccuper du bonheur de ses salariés et plus de leur santé ! C’est d’ailleurs sa responsabilité du point de vue juridique. À ce sujet, de nombreux travaux, comme ceux de [l’économiste] Thomas Coutrot, ont très bien documenté le lien entre la participation-consultation des salariés et leur état de santé, et le rôle « protecteur » que peut jouer le fait de donner son avis par rapport à des changements impactant son travail, parce qu’il permet d’avoir un peu de prise, de subir un peu moins.
En France, on constate une faiblesse de cette consultation par rapport à d’autres pays européens. Dans les organisations productives actuelles, soumises à des changements incessants (restructurations, PSE, rachat, déménagements, etc.), cette consultation serait d’autant plus importante. Malheureusement, la réforme des institutions représentatives du personnel, avec le passage en CSE, n’a pas aidé à arranger les choses car, dans les entreprises, les représentants des salariés ont encore moins d’espaces dédiés à la discussion sur des organisations de travail.
Vous avez beaucoup étudié – notamment pour votre thèse – les mécanismes de reconnaissance. C’est sur cette dimension-là également que l’employeur doit agir…
1. Travailler au xxie siècle – Des salariés en quête de reconnaissance. Coécrit avec Olivier Cousin, Dominique Méda, Laëtitia Sibaud, Michel Wieviorka. Éditions Robert Laffont, 324 pages, janvier 2015.
En effet. Lors d’une recherche conduite avec mes collègues en 20131, nous avons identifié quatre registres qui jouent sur la reconnaissance : pouvoir réaliser une activité qui a du sens ; les relations de travail ; pouvoir se projeter dans l’emploi (rétribution, perspectives d’évolution…) et se sentir reconnue en tant que personne. Ce qu’on voyait dans l’enquête, c’était beaucoup de situations où les salariés n’étaient reconnus sur aucun de ces plans-là. Il y a donc là tout un champ à investir !
Que sont devenus les Chief Happiness Officers ?
Hypermédiatisés avant la crise Covid, les CHO ont, semble-t-il, disparu des écrans radars, pour se fondre dans les organigrammes. Moins «responsables de l’apéro» et davantage intégrés à des responsabilités RH.
Un petit tour sur le réseau LinkedIn ou une requête sur le site de Pôle emploi nous indique qu’ils existent encore. On pouvait en douter, tant, après des années fastes, très médiatisés, les Chief Happiness Officers se sont faits discrets. Leur rôle, leurs fonctions laissent toujours un brin sceptique. «Derrière cet intitulé, on trouve des réalités très disparates», explique Agnès Vandevelde-Rougale.
Certains travaillent davantage sur les aménagements des espaces de travail, d’autres sur la communication interne ou l’événementiel, avec l’organisation d’animations ponctuelles… Certaines offres de poste demandent une grande expérience, d’autres sont proposées à des stagiaires…
« Le bonheur, c’est quelque chose de très complexe et d’éminemment individuel. Cela me semble une grosse responsabilité que de confier ce genre de poste à des stagiaires », indique la chercheuse. Il semble en tout cas qu’aux États-Unis, berceau des CHO, un virage à la fois sémantique et de positionnement s’opère, relève l’article du site InfosocialRH intitulé « Le second souffle des happiness officers ? ». Ce sont désormais des « Aid of employee », « Well-being officer », « Aid of organization », « Aid of employee engagement », davantage intégrés aux fonctions RH.
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