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Extrait de l’hebdo n°3921
Le 23 mai, les six principales têtes de liste (ou leur porte-parole) aux élections européennes du 9 juin se sont succédé devant le Conseil national confédéral de la CFDT. Les candidats ont présenté et défendu leur programme économique, social et écologique.
« Le projet européen, c’est à nous, citoyennes et citoyens européens, acteurs de la société civile, de le construire. Ce sont nos votes et les représentants que nous élisons qui le façonnent. Ces élections sont cruciales. Nous ne pouvons pas nous en désintéresser, car l’Europe, c’est notre destin commun », a plaidé Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, en conclusion d’une matinée d’auditions des candidats. Et c’est justement parce que ce scrutin est crucial que la CFDT proposait, le 23 mai dernier, de confronter les programmes sociaux, écologiques et économiques de celles et ceux qui joueront un rôle au sein du futur Parlement européen.
Les invités (en l’occurrence, trois femmes et trois hommes) étaient Manon Aubry (La France insoumise), Valérie Hayer (Renaissance - Besoin d’Europe), Marie Toussaint (Europe Écologie Les Verts), Aurélien Caron (représentant François-Xavier Bellamy pour Les Républicains), Léon Deffontaines (Parti communiste français) et Raphaël Glucksmann (Place publique - Parti socialiste). L’extrême droite n’était, comme à l’accoutumée, pas conviée. Pour une raison simple, rappelait Béatrice Lestic en préambule de l’évènement : « On ne débat pas avec l’extrême droite, on la combat ! »
Pendant trente minutes, les six candidats ont donc pu exposer leurs idées et détailler quelques-unes de leurs propositions devant les membres du Conseil national confédéral (CNC). À chacune et chacun d’eux furent posées les mêmes questions : « Comment continuer à construire l’Europe sociale ? » ; « Quel modèle de développement pour l’Europe : comment concilier prospérité, réindustrialisation et progrès social avec le Pacte vert ? » ; « L’Europe dans le monde : quel rôle doit-elle jouer, et quel enjeu pour l’élargissement à l’horizon 2030 ? ».
Comment continuer à construire l’Europe sociale ?
« Nous n’avons pas fait de chapitre particulier sur l’Europe sociale, reconnaît Aurélien Caron (LR). L’Europe sociale se joue au niveau des États. Pour nous, l’amélioration de la situation des travailleurs et des entreprises passe par la prospérité. » Un objectif qui serait freiné par la multiplication des « normes », dont son parti souhaite « diviser par deux » le nombre.
L’Europe sociale passera par la taxation des plus riches et des superprofits des entreprises afin de « donner à l’UE les moyens d’agir ». Cette revendication de la CFDT fait consensus chez les candidats du PS, du PCF, des Verts et des Insoumis.
Selon Marie Toussaint, la lutte contre la pauvreté et la précarité doit être « la colonne vertébrale de l’UE ». La candidate écologiste veut aussi mettre « le dialogue social au cœur des débats » et rendre le socle des droits sociaux (proclamé à Göteborg [Suède] en 2017) « plus contraignant ». Elle demande que l’impact des politiques de l’Union européenne sur les 10 % les plus pauvres soit systématiquement évalué. En cas d’impact négatif, un « veto social » devrait s’appliquer.
L’Insoumise Manon Aubry a l’ambition de « tout changer sur la question sociale en Europe ». Elle appelle à « une convergence progressive des droits et des salaires au risque d’un dumping social qui perdure ». À l’instar de son homologue des Verts, elle défend une directive « zéro mort au travail ». En outre, elle demande que plus de moyens soient donnés à l’inspection du travail.
De son côté, la candidate Renaissance, Valérie Hayer, insiste pour que les entreprises qui perçoivent des aides publiques respectent des critères sociaux ou environnementaux stricts. « Vive la conditionnalité ! », glisse-t-elle d’ailleurs ; une proposition pourtant loin de faire consensus au sein de son parti – le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, notamment, s’y oppose. Elle propose également la mise en place d’un compte personnel de formation européen, d’avancer sur le télétravail et le droit à la connexion. D’après Renaissance, il faut « faire de l’UE le continent des avancées sociales ».
Pour Léon Deffontaines, la mise en place d’un « salaire plafond » échelonnant les écarts salariaux de 1 (salariés) à 20 (employeurs) est une nécessité absolue. Le candidat communiste a pris l’exemple du patron de Stellantis, Carlos Tavares, qui déclarait dans les médias, après avoir touché 36,5 millions d’euros en 2023 : « Si vous estimez que mon salaire n’est pas acceptable, faites une loi. »
1. Confédération européenne des syndicats.
Raphaël Glucksmann, lui aussi, appelle à « une Europe du dialogue social et des salaires » et souhaite organiser une Conférence sociale européenne dédiée aux salaires fondée sur la recommandation de la CES1, qui voudrait que les écarts de rémunération soient de l’ordre de 1 à 20. Il espère également faire de l’Europe « l’avant-garde de la politique féministe dans le monde » en proposant la mise en place de la « clause de l’Européenne la plus favorisée » (inspirée par Gisèle Halimi dès 1979) – ce qui permettrait à chaque citoyenne de l’Union de bénéficier de la mesure en vigueur la plus favorable parmi les Vingt-Sept.
Quel modèle de développement européen ?
« Il faut une économie de rupture. Nous devons passer d’une économie qui détruit la nature et les hommes à une économie qui répare », insiste Marie Toussaint. Selon cette écologiste, un « protectionnisme vert européen » et des investissements publics massifs dans le « made in Europe » s’avèrent indispensables si l’on veut anticiper les transitions écologiques et numériques. Elle estime que les syndicalistes devraient être dans les entreprises des acteurs incontournables de la « bifurcation écologique » à venir.
Même son de cloche pour Manon Aubry, qui veut voir les organisations syndicales davantage représentées au sein des conseils d’administration des entreprises. « Pour lutter contre l’urgence climatique et garder une planète habitable, adapter à la marge notre modèle économique ne suffira pas. Il faut le transformer en profondeur avec la fin du libre-échange et de l’austérité. »
De son côté, Raphaël Glucksmann appelle à rompre avec l’Europe de la dépendance et à passer à la deuxième étape du Green Deal (Pacte vert) : la planification. « Assumons un protectionnisme écologique européen via notre politique industrielle et l’extension du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. »
Les Républicains, quant à eux, pointent la nécessité de mettre en place une politique industrielle européenne ambitieuse mais « sans créer de nouveaux impôts : il y en a déjà trop ». « Nous n’opposons pas prospérité et transition écologique », précise pour sa part Valérie Hayer, qui veut « faire payer ceux qui ne payent pas aujourd’hui », évoquant une taxe sur les transactions financières.
Une Europe élargie à l’horizon 2030
Alors que la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine pourraient rejoindre la grande famille européenne dans les années à venir, le sujet est loin de faire consensus sur l’échiquier politique.
« Nous ne voulons pas de nouveaux élargissements, ce serait un capharnaüm », a lancé sans détour Aurélien Caron. « Il est d’ailleurs paradoxal de demander un Smic européen et d’être favorable à l’accueil de nouveaux États dans l’Union européenne », ciblant là ses adversaires de gauche. Un point de vue ferme qu’il partage d’ailleurs avec Léon Deffontaines. « Cela aurait un effet dévastateur sur le travail. » Le leader communiste pointe les bas salaires des pays candidats à l’entrée dans l’Union et y voit un risque de dumping social.
Plus nuancée, Marion Aubry estime qu’« il n’y a, par principe, pas d’opposition mais cela ne peut se faire sans harmonisation, et la mise en place de mécanismes de convergence est nécessaire ». Valérie Hayer prône un élargissement au mérite, jugeant primordial que les pays candidats se mettent à niveau économiquement et socialement.
« On assume l’élargissement et le projet d’unification européen, ça suppose des réformes chez les candidats à l’entrée mais aussi au sein des institutions et de notre mode de fonctionnement actuel », tranche de son côté Raphaël Glucksmann.
“Nous avons besoin de dix fois plus d’Europe”
Quatre heures durant, la CFDT a démontré qu’il était possible d’échanger sereinement, sans tomber dans la caricature, et en abordant les sujets sociaux trop souvent délaissés par les médias lors des campagnes électorales. Un état d’esprit salué par plusieurs candidats.
« Nous n’avons pas tous les mêmes avis, et c’est plutôt sain dans une démocratie. L’important, c’est que chacun puisse exposer son point de vue et que ce soit utile au débat public », insistait Marylise Léon en conclusion de ces travaux, invitant chacune et chacun à voter pour une Europe sociale le 9 juin. « Ce n’est pas d’un retour aux nationalismes dont nous avons besoin mais de dix fois plus d’Europe ! D’une Europe des solidarités, d’une Europe de la culture, d’une Europe écologique, d’une Europe fière de ses diversités, d’une Europe de la paix. »